Léon
Trotsky : Lettre à Pierre Naville
[Léon
Trotsky - Pierre
Naville - Denise Naville - Jean Van Heijenoort : Correspondance
1929-1939,
Paris 1989, pp 46-48]
Büyükada,
le 25 novembre 1930
Cher
camarade Naville,
Le
fait même qu’au moment de la crise la plus accentuée qui frappe
non seulement l’opposition française, mais qui paralyse aussi le
Bureau International et le secrétariat qui vient de se constituer,
vous ne m’écrivez point, éclaircit distinctement la direction de
vos sentiments, votre façon d’agir et vos intentions. Je ne parle
pas de ce que, à mes yeux, la caractéristique d’un
révolutionnaire consiste en ce qu’il prenne au sérieux les
engagements pris par lui. Du point de vue formel et objectif, il est
également inadmissible que par exemple la parution du deuxième
numéro du Bulletin
International
pour lequel nous avons tous dépensé tant de temps soit différé
complètement par votre attitude. Même d’ici, nous aurions déjà
pu faire paraître ce numéro depuis longtemps.
C’est
peut-être le succès du camarade Landau ainsi que ses
interprétations qui, s’appuyant — non sans votre aide — sur
l’indignation de Rosmer, prépara d’une façon toute spéciale
(la mort de) la Conférence, c’est-à-dire par des artifices
organisatoires et non comme expression politique d’une organisation
révolutionnaire, — qui vous a stimulé en ce sens. Le camarade
Landau fait erreur s’il pense que l’opposition allemande se soit
formée grâce à ses habiles artifices de coulisses. Non, ce qui
s’est formé de cette façon n’est que le Mahnruf,
c’est-à-dire pas beaucoup plus que rien du tout. L’existence de
l’opposition allemande est le produit de son appui contre
l’opposition internationale et de son soutien de la part de
celle-ci. Je suis le dernier à renier que le camarade Landau y a
collaboré ou d’en diminuer la valeur. Mais la façon spécifique
qui a été induite au travail et qui a commencé à fleurir au cours
de la dernière Conférence, ne peut que nuire. A Berlin, lieu
immédiat de l’activité de Landau, on a aucun succès à marquer.
Vous
comprendrez qu’il m’est tout à fait égal si le camarade qui se
trouve à la tête de l’opposition allemande s’appelle Landau ou
autrement. Ce qui importe, ce ne sont que les principes qu’on
défend, les méthodes avec lesquelles on lutte, les buts qu’on se
pose. Le camarade Landau n’a pas de principes indépendants, ce
sont les principes communs à l’opposition internationale, mais les
méthodes qu’il applique sont opposées à ces principes.
Maintenant,
à la France : il ne s’agit pas aujourd’hui de la querelle
Molinier-Naville. La seule question importante est la question
syndicale. Le seul document décisif, ce sont les thèses de Gourget.
Est-ce que vous les acceptez, camarade Naville, ou les combattez-vous
? Moi pour ma part, je les combats rigoureusement. Vous comprendrez
que je n’ai pas rompu avec les centristes de Russie pour prendre
une responsabilité quelconque pour les thèses confuses et
centristes du camarade Gourget. Et si je le faisais, les sept mille
cinq cents oppositionnels emprisonnés et déportés me marqueraient
à juste titre comme traître ; si les fusillés ne peuvent pas
m’accuser en même temps qu’eux ce ne serait pas de leur faute.
Vous comprenez que je n’ai pas du tout l’intention de devenir
pathétique. Je veux simplement rappeler à quelques jeunes camarades
qu’il y a des choses, principes, et des engagements qui doivent
être pris au sérieux. Je suis prêt à faire tout mon possible pour
maintenir la collaboration avec Rosmer. Mais s’il soutient les
thèses de Gourget et sa façon d’agir envers sa propre
organisation, ce fait éliminerait du moins pour le prochain temps
notre collaboration. Voilà l’état des choses.
Pratiquement
le Bureau International ne peut pas dépendre de la bonne ou mauvaise
volonté d’un camarade français ou de l’autre. Il doit exister
en permanence. C’est-à-dire à partir de demain. Si le camarade
Rosmer a démissionné vraiment et s’il ne veut pas retirer sa
décision, le Bureau Exécutif doit dès aujourd’hui élire un
autre représentant. Vous êtes membre du Secrétariat provisoire.
Vous devez remplir régulièrement vos fonctions, c’est votre
devoir international élémentaire.
Il
y a une foule de questions actuelles qui demandent des décisions
formelles. En premier lieu la question autrichienne. Si je ne reçois
pas de réponse sur mes propositions de la part du représentant
français, je m’adresserai avec ces propositions à toutes les
sections ; cela entraînerait, bien entendu, les plus grandes
complications, mais c’est la seule voie possible.
J’attends
votre réponse télégraphique ; c’est-à-dire : « Demain » («
Après-demain ») signifierait pour moi que le Bureau International
et le Secrétariat reprendront demain (après demain) leur travail. «
Impossible » signifierait une réponse négative qui me laisserait,
en tant que membre du Bureau International, les mains libres.
[L.
Trotsky]