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Léon Trotsky 19150425 Aux Calomniateurs !

Léon Trotsky : Aux Calomniateurs !

[Naché Slovo, No. 74, 25 avril 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la IIe Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 204-206]

C’est avec un sentiment naturel de dégoût, et au risque d’offenser les sentiments de nos lecteurs, que nous publions une « déclaration » d’Alexinsky au sujet de Racovsky. La rédaction d’un journal politique, devant le sort à faire subir à des « documents humains », doit se laisser diriger non par ses propres convictions, mais par le souci de l’opinion générale. Ce critère nous a astreint, il y a deux semaines, à faire effort sur nous-mêmes et à nous occuper des misérables insinuations du triste sieur Beg-Allaiév. A tout seigneur, tout honneur !

Alexinsky appelle sa prose une « déclaration ». Cependant, il ne « déclare » absolument rien. Il ne présente aucun fait, ne démontre rien quant à la question que nous traitons dans notre article a : les basses insinuations d’Amphitéatrov sur Racovsky. Évitant le nœud de l’affaire, Alexinsky se livre à des considérations qui ne peuvent laisser indifférent. D’abord il contredit notre affirmation, suivant laquelle Racovsky est « lié étroitement avec les socialistes russes ». Il nie toute participation de Racovsky, « toute participation matérielle au Socialisme russe », bien que nous n’en ayons jamais parlé dans notre article. Enfin, il tient pour impossible de laisser « planer sur les Partis socialistes russes même l’ombre d’une responsabilité pour la mission italienne de Racovsky ». (S’étant mis en-dehors de l’un, Alexinsky parle maintenant au nom des deux.) Il tourne autour de la question sur le ton de quelqu’un qui sait beaucoup plus qu’il n’en dit.

Alexinsky s’efforce de détruire l’image « d’une quelconque relation étroite entre Racovsky et le Socialisme russe ». Vains efforts ! Racovsky est et restera l’un des premiers socialistes russes. Il adhérait au groupe « Libération du Travail » et s’en fit le propagandiste au sein des jeunesses russes et des jeunesses bulgares. Il résida à Pétersbourg en qualité d’écrivain marxiste, en rapports étroits avec les sociaux-démocrates actifs. Il fut expulsé. Il prit une part active à la « Ligue Étrangère » de notre Parti, collabora à Iskra, aida celle-ci matériellement et mena la lutte contre les tendances populistes et terroristes au sein du Socialisme russe. Pendant la Révolution russe, il se dévoua à celle-ci corps et âme, secourut les émigrés, mena une campagne en faveur des mutinés du « Potemkine » réfugiés en Roumanie, resta le collaborateur des publications socialistes russes, soutint Goloss, Social-démocrate, Pravda, et les feuilles ouvrières légales. Lié au fameux théoricien marxiste, Dobrojdanu-Ghéréa (le vieil émigré russe), Racovsky vit en plein accord avec de nombreux artisans du mouvement social-démocrate. Tous deux, Ghéréa et Racovsky sont devenus les meilleurs amis de Goloss et Naché Slovo, ils nous prouvent leur sympathie par des secours matériels. La lettre de Racovsky que nous avons reproduite dans Goloss est l’expression de la solidarité des Internationalistes, que la démence sanglante actuelle n’a pas désarmée.

Alexinsky appartient à ces éléments nombreux que la Révolution de 1905 jeta dans le camp social-démocratique, mais que la vague patriotique a repris et renvoyés sur la berge à laquelle ils appartiennent de droit. Moins que quiconque, le « passager » Alexinsky a le droit de juger les rapports entre Racovsky et le Socialisme russe. Mais la question reste posée avec toute sa vigueur : pourquoi Alexinsky nie-t-il des faits dont il a une totale incompréhension ? Qu’avait-il besoin de cette « déclaration » ? Pour donner une aide personnelle aux basses calomnies « patriotiques ».

En quoi consiste la « mission italienne » de Racovsky ? Pourquoi Alexinsky parle-t-il avec tant de circonlocutions de cette mission qui a provoqué tant de mensonges de la part des sycophantes de la presse réactionnaire russe et française ? Pourquoi tient-il pour indispensable que le Socialisme russe se tienne à l’écart de cette mission et même de son « ombre » ? Racovsky voyage-t-il en qualité de chargé de mission par le Socialisme roumain combattant, en accord avec les décisions des Congrès socialistes internationaux, l’intervention armée de nouveaux pays, ou bien est-il un agent austro-allemand dans l’accomplissement d’une mission de la diplomatie allemande ? Pourquoi Alexinsky ne signe-t-il pas cette deuxième version diffusée par tous les agents alliés ? Pourquoi ne parle-t-il pas clairement, appelant un chat un chat ? Mais, parce qu’il ne peut pas répondre. Parce que, pour sa « déclaration », il n’a à sa disposition que des calomnies et des mensonges. Il spécule sur le fait que des calomnies des Drumont, Daudet, Laskine et Amphitéatrov, il restera quelque chose dans la conscience des lecteurs. Il n’affirme rien par lui-même, simplement il enlève toute responsabilité – Oh ! Alexinsky ! – au Socialisme russe. Et puis, il parle de l’aide matérielle que Racovsky accorderait maintenant à Naché Slovo, maintenant, c’est-à-dire à l’occasion de cette fameuse mission italienne.

Alexinsky comprend très bien que le lecteur conclura que les deux cent cinquante francs que nous avons reçus de nos amis roumains ont été fournis par la trésorerie des Hohenzollern. C’est pourquoi Alexinsky a besoin d’un rapprochement « subit » entre Racovsky et le Socialisme russe. Relisez la prose du Monsieur ! Deux sentiments ont guidé sa plume : l’impudence et la lâcheté ! La même méthode vaut pour notre néo-classique Amphitéatrov. Nous devons clouer cet épigone des transfuges du socialisme : « il calomnie, il ment, il agite la queue en attendant les résultats. » Ayant rejeté toute apparence idéologique, démoralisé par son bond de Marx à Mars, de la révolution au patriotisme militariste, bassement hostile à tous ceux qui sont restés fidèles au Socialisme, Alexinsky, à travers ses insinuations, ses calomnies, cherche à soutenir en lui les restants de sa self-dignité. Comme il n’est pas le seul, comme la contre-révolution s’est répandue dans de larges cercles de l’Intelligentsia, la dénonciation faite par Alexinsky trouve sa résonance dans ce milieu et, devenant presque un symbole, jette la dernière ombre sur cette époque maudite. C’est le motif – l’unique motif – de notre publication de la lettre d’Alexinsky. Dans les conséquences de la discrimination féconde qui s’opère entre le socialisme révolutionnaire et la collusion du social-patriotisme avec la bourgeoisie, dans ce processus, il n’y a pas que la logique politique, mais aussi la morale politique. En capitulant devant la nation bourgeoise en armes, les transfuges du Socialisme se sont désarmés moralement et, pour se confirmer eux-mêmes, sont forcés de se saisir de l’arme déshonorante de nos ennemis de classe. La « déclaration » d’Alexinsky ne sera pas la dernière; et ce ne sont pas les dernières paroles d’Alexinsky. Sur le chemin où il s’est engagé, il n’y a pas de retour. De calomnie en abaissement, d’abaissement en calomnie, il continuera à tourner sur une orbite bien précise : il est le témoignage repoussant de ce que la cause qu’il sert maintenant, n’est pas seulement mauvaise, mais désespérée.

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