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Léon Trotsky 19150516 Axelrod et le social-patriotisme

Léon Trotsky : Axelrod et le social-patriotisme

[Naché Slovo, No. 90, 16 mai 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 93-95]

Dans son interview concernant les questions fondamentales de la crise socialiste, Axelrod prend des positions divergentes de celles de notre journal. Nous tenons pour indispensable d’examiner ces questions, en attendant une étude plus détaillée dans notre publication.

Nous sommes d’accord avec Axelrod quand il parle des profonds changements internes et externes qui ont eu lieu dans les anciens groupements du Socialisme européen.

Nous trouvons donc d’autant plus incompréhensible ses reproches aux Internationalistes russes qui livrent une lutte idéologique sans pitié, créant ainsi le processus de la formation de nouveaux groupements répondant aux problèmes de l’heure. On pourrait approuver Axelrod s’il attaquait la méthodologie du « schisme » qui freine l’auto-détermination idéologique du prolétariat social-démocrate.

Mais il va plus loin et, au nom de la lutte contre des scissions provoquées artificiellement ou prématurées, approuve l’esprit de conciliation qui se refuse à trancher les questions séparant les Internationalistes des Sociaux-patriotes, car il considère celles-ci de nature à dissoudre inévitablement les anciennes organisations russes. Mais là, nous estimons défectueuse l’estimation de l’immense danger que représente le social-patriotisme pour le mouvement ouvrier russe. Il est vrai que les conditions en Russie ne favorisent pas la diffusion des idées social-patriotiques dans les rangs des prolétaires, mais le danger demeure toujours d’empoisonner les masses par un scepticisme désespéré envers les idéaux du Socialisme et les méthodes du Marxisme révolutionnaire, si nous ne combattons pas impitoyablement les tendances démoralisatrices. Il n’est pas besoin de dire qu’un pareil résultat nous rendrait, en Russie, le travail plus pénible au point de vue de la tactique révolutionnaire, dont parle Axelrod. La mauvaise estimation du péril que constitue le social-patriotisme apparaît de façon frappante, dans le document signé par Axelrod à la Conférence de Copenhague, d’où il ressortirait que la position, adoptée par le groupe des auteurs de la réponse à Vandervelde, ne conduirait pas à la cessation ou à l’affaiblissement de la lutte contre le Tsarisme. Après la « sortie », à la Douma, de Mankov, qui tenait la position de Plékhanov et de Nacha Zaria comme seule conclusion possible, on ne peut nier que celle-ci conduit, non seulement, à la nationalisation de la Social-démocratie russe, mais aussi à la totale extinction de son esprit révolutionnaire.

On pourrait ne pas se soucier des espoirs nourris par Axelrod sur un retour de Plékhanov à une position révolutionnaire, si ces espoirs étaient fondés seulement sur l’estimation des capacités individuelles de Plékhanov à effectuer ce revirement. Mais, devant la confusion apportée par le patriotisme dans le mouvement ouvrier, nous protestons contre toute tentative d’estimer le comportement politique de Plékhanov et des socialistes français, avec lesquels il s’est solidarisé, avec une autre unité de mesure que la conduite des sociaux-démocrates allemands. Même si Axelrod s’est montré plus conciliant vis-à-vis des socialistes français que vis-à-vis des socialistes allemands, même s’il étudie Plékhanov d’un point de vue non russe, mais « d’orientation » française, nous regardons pourtant comme indispensable de répéter ici que ni des considérations de principe, ni des études sur l’activité lamentable du Socialisme français, ne peuvent permettre de telles différences dans les jugements portés sur les deux Partis.

On dirait qu’Axelrod, en exprimant l’espoir d’un retour de Plékhanov à une position révolutionnaire après la guerre, invite les Internationalistes à modérer leurs attaques contre Plékhanov. Axelrod ignore le fait essentiel – pourtant il s’exprime parfaitement bien à ce sujet, à une autre occasion – que les groupements qui doivent déterminer le sort du Socialisme pour de longues années, se forment, actuellement, d’après leur attitude envers la guerre. Plékhanov peut bien retourner sur sa position de marxiste révolutionnaire (il peut ne pas le faire), cela n’empêchera pas qu’il assène à cette position des coups impitoyables, il jette le trouble dans les rangs ouvriers et, par sa conduite comme celle de Naché Diélo avec lequel il s’est lié définitivement, il nous impose une opposition implacable.

« Les tactiques de l’Internationalisme et du Nationalisme, tel que ce dernier est apparu pendant la guerre, s’excluent l’une l’autre, à tel point que leurs présences dans le même parti sont tout à fait impossibles. » Nous trouvons cette déclaration décisive au début de l’interview d’Axelrod. A la lueur de cette affirmation, une estimation modérée du social-patriotisme russe nous paraît incompréhensible.

La critique par Axelrod de notre plan de Conférence contient, à côté de simples malentendus, des divergences sur l’estimation des problèmes internes du Parti. Nous arrivons à un malentendu complet quand Axelrod écrit que nous aurions l’intention d’exclure des membres du Parti en ne les invitant pas à la Conférence. Nous avions envisagé une Conférence restreinte, non pour tout le Parti; les Internationalistes ont le droit de se réunir entre eux pour exposer leurs points de vue sur le mouvement ouvrier russe. Si Axelrod a démontré que les partisans d’un Parti ouvrier ont le droit de tenir leurs propres conférences, à plus forte raison, ce droit doit être étendu aux adhérents d’un groupe internationaliste à une époque critique. Ce n’est pas seulement leur droit, c’est leur devoir. Pour que la délimitation intransigeante d’avec le social-patriotisme dans tous les groupements – nous y tenons – , ne s’accompagne pas du chaos au sein du Parti, il faut développer l’union spirituelle et active des Internationalistes de tous les groupes. Cette union est la condition essentielle de la renaissance et du succès de l’activité social-démocrate révolutionnaire en Russie.

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