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Léon Trotsky 19151105 Chacun a son tour

Léon Trotsky : Chacun a son tour

[Naché Slovo, No. 232, 5 novembre 1915 Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Paris 1974, pp. 170-171]

Dans notre aimable patrie, les événements s’accomplissent l’un après l’autre. Pour mieux définir jusqu’à quel point notre nouveau ministre de l’Intérieur est hostile à toute situation d’exception (comme il l’a déclaré aux représentants de la presse), on vient de proclamer l’état de siège à Moscou, c’est-à-dire une des mesures les plus exceptionnelles. Le sénateur Krachennikov, grand « liquidateur » des séquelles de la Révolution, jette en silence les bases d’un pogrom que réalisera le gouverneur Adrianov contre les Allemands de l’intérieur, qui s’avèrent en réalité être Juifs. Mais les préparatifs étaient encore gardés secrets, que déjà Khvostov appelait à la rescousse tous les Adrianov de province, en déclarant que les grèves et les émeutes sont le fait d’agents allemands. Chaque chose suit son cours normal en notre pays. Un des ministres a expliqué à un collaborateur curieux de Rousskoe Slovo qu’il n’était pas indispensable de convoquer la Douma : « C’était nécessaire en juillet quand la situation sur le front n’était pas favorable, mais, grâce à Dieu, ce motif n’a plus de raison d’être. »

Comme l’infortunée Serbie a attiré sur elle une grande partie des forces allemandes, la monarchie profite de ses vacances et en fait bénéficier nos parlementaires. Évidemment pas question de convoquer la « Seim » finlandaise ! On penserait qu’elle jouit d’un privilège, alors que la Douma se trouve en vacances ! Et l’on sait bien que nos Khvostov sont l’ennemi de tout privilège, de toute inégalité. Pour cette raison on a laissé sans réponse les revendications finlandaises concernant l’emploi des fonds sans le consentement de la « Seim ». 11 serait anti-naturel d’accorder aux Finlandais « un régime de faveur exceptionnel » alors que les Allemands, à Riga, n’avancent plus.

Certes, dans les Balkans, les choses ne vont pas très fort; et alors ? A quoi servent les Alliés ? La menace allemande se fait sentir en Égypte et dans les Indes ! Donc on peut encore vivre ! Certes, Sazonov qui déclarait, le 8 Août 1914, « nous ne déshonorerons pas la terre russe », est parti à la retraite et sans honneur. A la chancellerie, lui succède Gorémykine. Ses favoris doivent être le symbole de ce que tout ira en s’améliorant en politique intérieure comme en politique extérieure. Gorémykine, ce n’est qu’un symbole ! De fait, le ministère est placé sous le signe Khvostovien. Le premier ministre est Khvostov, mais lequel ? L’oncle ? Le neveu ? S’il s’agit du premier, cela signifie le règne de la « Centurie Noire »1, les formes juridiques à-demi enveloppées. Si c’est le second, c’est encore le règne de la « Centurie Noire », mais ouvertement, violemment, démagogiquement. Mais l’oncle ne sert que de paravent au neveu. L’étoile de celui-ci brille au firmament tsariste, l’allié des « démocraties occidentales ». Quel magnifique rapprochement ! Le nouveau ministère républicain avec ses ex-socialistes Guesde, Sembat en tête, Thomas en réserve, reçoit le « salut d’un allié » de la part du Tsarisme, avec la signature de « l’allié » authentiquement russe Khvostov !

1 Centurie Noire ou Cent-Noirs : association réactionnaire et antisémite, favorisée par la police; elle se livra à des provocations et à des pogroms. (Note du traducteur.)

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