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Léon Trotsky 19151030 Galliéni

Léon Trotsky : Galliéni

[Naché Slovo, No. 228, 30 octobre 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Paris 1974 pp. 119-120]

Le poste suprême au ministère de la Guerre était occupé jusqu’à maintenant par Millerand; aujourd’hui c’est le tour du général Galliéni Ce n’est pas la première fois qu’on propose ce dernier au poste de généralissime. Il est, sans contredit, l’un des généraux les plus complets de l’armée républicaine.

Plus d’une fois la presse a chanté ses louanges en tant qu’organisateur et administrateur. Le général fit « ses classes » de guerre en Afrique et en Asie comme tant d’officiers français et anglais de la vieille génération. Après la perte de deux provinces au Traité de Francfort, la France chercha à se consoler du deuil national par des conquêtes coloniales. A la fin de l’année 1870, Galliéni opéra en Afrique noire, au Sénégal, et s’empara de la boucle du Niger pour le plus grand bien de la culture capitaliste. En 1886, il pacifia le Soudan. Il écrasa les hordes du potentat rebelle Mahmade dont la tête fut offerte à un des officiers de l’expédition française. En combinant la « pacification » et les méthodes sans merci de la guerre, Galliéni conquit un territoire de 900.000 km2 et 2.600.000 habitants. L’actuel ministre de la Guerre est, en fait, le créateur de l’Empire français du Soudan. Il appliqua le système dit « de tache d’huile » (en fait inventé par les Anglais). D’un centre fortifié, les troupes rayonnent, créent d’autres centres fortifiés, soumettent certaines populations, en massacrent d’autres, mettent sur pied une administration, puis repartent rayonner, et ainsi de suite.

Galliéni joua un grand rôle dans la conquête de Madagascar. Son biographe écrit à ce sujet une anecdote, non dépourvue de cruelle malice. Le ministre des Colonies donna à Galliéni des instructions par écrit concernant l’expédition de Madagascar : « J’espère, Votre Excellence, n’avoir jamais à lire ces papiers », lui dit le général avec une ironie respectueuse. Et le ministre « pantois » de répondre : « Vous ferez bien ! ». De fait, Galliéni ne se contenta pas de punir deux ministres rebelles malgaches, mais il déposa la reine et l’exila.

L’Écho de Paris communique aujourd’hui que plusieurs groupes parlementaires firent des représentations à Briand sur l’inconvenance de placer un général à la tête des forces républicaines. Autant que nous le sachions, le nom de Galliéni n’a pas été prononcé dans les diverses discussions des combinaisons politiques. Nous avons lu, il y a trois jours dans l’Action Française qu’il était lamentable de ne pas voir un général comme suprême responsable militaire. De son côté Hervé, prêt à tous les retournements, stigmatise les craintes des éléments démocratiques quant au sort de la République. Aucun péril ne menace et ne menacera personne et les citoyens français peuvent dormir tranquilles. C’est ce qu’il fallait démontrer.

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