Léon Trotsky‎ > ‎1915‎ > ‎

Léon Trotsky 19150613 « Ils sont d'un autre esprit »

Léon Trotsky : « Ils sont d'un autre esprit »

[Naché Slovo, No. 113, 13 juin 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 168-170]

Le premier numéro (avril) de l’Internationale journal de Rosa Luxembourg et de Franz Mehring, a paru en Suisse. C’est seulement maintenant que nous avons l’occasion de recevoir ce journal qui fut toujours confisqué par la police allemande qui veille attentivement à protéger la « paix civile ».

Aucun article n’est consacré à l’explication du caractère de la guerre et aux motifs historiques de la crise de l’Internationale. La publication se donne des buts de guerre directs. Estimer le comportement du Parti officiel mettant son puissant mécanisme au service de l’Impérialisme. Opposer à la politique officielle, la politique de la lutte de classe. On cite quelquefois les paroles de Luther au sujet de ses ennemis idéologiques : « Ils sont d’un autre esprit. »

« L’esprit » du Marxisme est opposé à « l’esprit » du Social-nationalisme.

Ce numéro de revue est centré sur un article que Rosa Luxembourg avait écrit avant son emprisonnement. En voici les idées essentielles :

Le Socialisme ou l’Impérialisme – cette alternative a caractérisé l’orientation politique des Partis ouvriers ces derniers temps… La guerre éclatant, l’alternative s’est changée en une situation politique. Placée devant cette alternative, qu’elle reconnaissait et portait à la conscience des masses, la Social-démocratie… a laissé la place sans combattre à l’Impérialisme. Jamais encore, depuis qu’a commencé la lutte des classes, depuis qu’existent les Partis politiques, on n’a vu un Parti occupant une position de premier ordre après cinquante ans de lutte ininterrompue, groupant des millions d’adhérents, jamais on n’a vu un Parti disparaître en tant que facteur politique, en moins de 24 heures, comme ce fut le cas pour la Social-démocratie allemande.

Rosa Luxembourg s’en prend avec indignation à Kautsky et aux Marxistes autrichiens, propagandistes de la non-résistance au mal et de l’attentisme. « Cette théorie, qui s’imagine conserver la vertu du Socialisme du fait que celui-ci est exclu de l’Histoire mondiale à un moment décisif, souffre du péché fondamental de tous les calculs de l’impuissance politique : elle fait les comptes sans l’hôtel »

L’opinion que la lutte de classe et l’Internationale ne doivent pas se consacrer à l’auto-défense, est rejetée avec indignation par Rosa Luxembourg, non seulement comme une politique de capitulation, mais comme une trahison théorique du Marxisme.

« En conséquence, il existe pour le prolétariat non une règle vitale comme l’enseignait le Socialisme, mais deux : une pour la paix et l’autre pour la guerre. En temps de paix, dans chaque pays existe la lutte de classe, et ici intervient la solidarité internationale; en temps de guerre, à l’intérieur joue la solidarité de classe; à l’extérieur, c’est la lutte entre les travailleurs de différents pays… Mais la lutte prolétarienne n’est que la conséquence de la mainmise de la bourgeoisie. En guerre, celle-ci ne disparaît pas pour autant; au contraire, son fardeau se fait plus pesant du fait de la spéculation et des conséquences de la dictature militaire sur les travailleurs. La prédominance bourgeoise ne fait que s’accentuer grâce à la suppression des droits constitutionnels et se transforme en une dictature de classe. »

Ou l’Internationale ne sera plus qu’un monceau de ruines après la guerre, ou son rétablissement se fera sur le terrain de la lutte de classe, d’où elle tirera son suc nourricier. La renaissance de l’Internationale ne pourra pas se faire si, après la guerre, on reprend le vieil accordéon pour rejouer les mêmes mélodies comme s’il ne s’était rien passé depuis le 4 août. Non ! Elle ne sera possible que « par l’élimination impitoyable de ses propres faiblesses », par la liquidation de sa tactique depuis le 4 août. Le premier pas à accomplir dans cette direction est la lutte pour la fin de la guerre, pour la conclusion d’une paix répondant à l’intérêt général du prolétariat international.

L’auteur passe ensuite à la critique de la déclaration de la fraction parlementaire social-démocrate contre la politique d’annexion : « Les déclarations solennelles au Parlement contre toute politique de conquête n’ont aucune influence sur l’issue de la guerre. Celle-ci, dont la prolongation est soutenue par Scheidemann et autres, possède sa propre logique dont les auxiliaires actifs sont les éléments capitalistes dominant en Allemagne et non les pâles figures des parlementaires et des journalistes sociaux-démocrates tenant l’étrier à leurs maîtres… Le combat victorieux pour la paix et l’Internationale ne peut être engagé que par les socialistes des nations belligérantes. Le premier pas dans cette direction est la volte-face décidée sur la route du social-impérialisme. »

Dans un article de Za mir, Clara Zétkine rapproche les signes du dégrisement politique et de l’éveil de la conscience socialiste et révolutionnaire dans les Partis ouvriers des différents pays… L’article se termine par un appel à la Social-démocratie allemande, lui enjoignant de prendre le chemin de la lutte pour la paix. « Il faut se décider enfin… avec des chefs, s’il y en a; sans eux, s’ils hésitent encore; contre eux, s’ils veulent freiner le mouvement. Seule une lutte de ce genre peut poser la pierre de base de l’édification de l’Internationale prolétarienne. »

Franz Mehring, dans son article « Nos précepteurs et la politique d’instance », démontre que la nouvelle orientation du Parti, essayant de dissimuler son activité sous des références à Marx, Engels et Lassalle (que les nouveaux dirigeants considéraient jusqu’à la guerre comme « dépassés »), rompt totalement avec les méthodes marxistes et n’est qu’une capitulation devant les intérêts de classe de l’ennemi à peine camouflés par les conceptions d’un empirisme vulgaire. La politique des instances du Parti, ainsi termine Mehring, présente une rupture complète avec l’héritage spirituel de nos premiers maîtres, avec l’histoire et les conceptions fondamentales de la Social-démocratie allemande. La conséquence logique de cette politique serait la fondation d’un Parti ouvrier social-national réconciliée avec le militarisme et la monarchie et se contentant des réformes qu’accorde aux prolétaires une société bourgeoise… Ce serait l’étouffement du mouvement ouvrier si l’on pouvait dissimuler sous des flots de paroles sonores la crevasse béante qui sépare le passé du présent… Contre cette auto-falsification, contre cette lâche soumission des méthodes du Socialisme à des buts mortels, Mehring appelle à une lutte implacable sous le drapeau du Marxisme. Il faut clairement montrer qu’eux et nous, sommes d’un autre esprit !

Kommentare