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Léon Trotsky 19150411 Jusqu’à la fin !

Léon Trotsky : Jusqu’à la fin !

[Naché Slovo, No. 62, 11 avril 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 54-56]

Le naufrage de l’Internationale, préparé par les conditions de l’époque précédente, se solda comme une catastrophe. La renaissance de l’Internationale débute par un processus compliqué et malaisé.

Les organisations ouvrières ont, grâce à une lutte quotidienne incessante, conquis une grande autorité aux yeux des classes qu’elles ont amenées à prendre conscience de la vie collective; quand ces mêmes organisations ont buté contre les contradictions et les problèmes nouveaux, que ne connaissait pas l’époque précédente – et c’est là l’essence même de la crise de l’Internationale – , l’influence et l’autorité des organisations ouvrières devinrent des facteurs conservateurs, écrasant la force vive de la classe laborieuse, à un moment critique de l’Histoire européenne.

Toutes les caractéristiques du système capitaliste, celles que le Socialisme a infatigablement critiquées et évaluées, ont trouvé dans la guerre leur expression la plus monstrueuse : la guerre a contraint les vieux Partis socialistes à défendre les bases nationales et gouvernementales sur lesquelles ils se sont développés tout en les critiquant. Ayant perdu leur équilibre, les masses ouvrières se sont trouvées désorientées, pratiquement paralysées. Le cruel enseignement de la guerre ne fit qu’approfondir les sentiments de désarroi, de scepticisme des travailleurs par rapport à leurs propres forces, d’impuissance devant le Moloch du pouvoir capitaliste. Se libérant de la pression « normale » de l’opinion prolétarienne, les « guides », se pliant à la pression de l’opinion bourgeoise, effectuèrent un revirement total et devinrent de vrais renégats.

En Allemagne, où l’industrie était la plus puissante, le militarisme était le plus pesant et la Social-démocratie la plus influente sur la masse, la crise du Socialisme prit le caractère le plus catastrophique. Ceci fournit le prétexte aux Colomb du marasme socialiste d’expliquer la faillite de l’Internationale par l’influence néfaste du Marxisme « allemand ». Entre-temps, au sein du parti ouvrier allemand, au nom des leçons révolutionnaires du Marxisme, se déroulait un processus de critique intérieure et de renaissance révolutionnaire qui, tout dernièrement, aboutit au manifeste de l’opposition minoritaire. On peut affirmer, sans le moindre doute, que la Conférence internationale féminine, l’acte le plus important de cette époque de la guerre, ne fut rendue possible, que grâce à l’initiative et l’énergie des militantes du mouvement ouvrier féminin.

A la base même de ces deux phénomènes, on trouve le mot : Paix. Mais ce mot comprend tout un programme révolutionnaire : anéantir la « paix civile » par une attaque dirigée contre les classes dirigeantes et leur slogan « jusqu’au bout », sous le drapeau de la lutte de classe. En des termes nobles et précis, d’une précision insupportable pour les oreilles de la censure républicaine, le manifeste de la Conférence féminine appelle les femmes du peuple laborieux à prendre des positions avancées dans la lutte pour la paix, le socialisme dans la lutte – jusqu’au bout !

Les femmes prolétariennes, les plus déshéritées de tous les sans-droit, abandonnées brutalement au seuil de la « paix civile » élaborée par la machine parlementaire « masculine », viennent d’asséner à cette « paix civile » trompeuse un coup dont elle ne se relèvera pas.

C’est dans ce sens que fut rédigé le manifeste de l’opposition minoritaire, bien qu’employant des voies quelque peu différentes. Il s’efforce à l’union, même la plus modeste, des Partis socialistes pour réclamer la cessation des combats, basant son espoir sur la logique révolutionnaire des événements. Mais, en épargnant le patriotisme de la Social-démocratie allemande et le nationalisme obstiné du Socialisme français, le manifeste, en s’adressant aux deux plus particulièrement, se revêt du sceau de l’extrême prudence.

Cependant, indépendamment de la question : l’appel sera-t-il entendu des « responsables », pieds et poings liés ? indépendamment de ce que les principes formulés de la paix future sont soumis aux forces de la classe révolutionnaire – et il reste encore à la mobiliser – , l’appel lancé par Zétkine, Mehring, Luxembourg, Liebknecht, Ledebour et Rühle, s’affirme, aux côtés du manifeste féminin, un facteur inestimable de signification révolutionnaire. Politiquement indispensables, ces documents peuvent, à travers tous les obstacles, ouvrir la route vers les esprits et les cœurs. Nous croyons, avec nos camarades allemands, à la logique révolutionnaire de la situation.

L’Internationale s’est retrouvée. Ses différentes fractions s’unissent les unes aux autres. Elles formulent le programme de leur activité future. Ce programme, elles le réaliseront – jusqu’au bout !

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