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Léon Trotsky 19150711 « La gauche » et « le centre » dans la social-démocratie allemande

Léon Trotsky : « La gauche » et « le centre » dans la social-démocratie allemande

[Naché Slovo, No. 137, 11 juillet 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 170-172]

Lorsque L’Internationale, le journal de Rosa Luxembourg et de Mehring, eut disparu après la parution de son premier numéro, la Gauche ne disposa plus que d’un unique journal de propagande Lichtstrahlen [Rayons de lumière]. Les tentatives de la rédaction de passer d’une publication mensuelle à un hebdomadaire ou de faire augmenter le format des brochures mensuelles, se brisèrent chaque fois sur l’interdit lancé par les autorités militaires. Dans les ténèbres de l’Union nationale, les « Rayons de lumière » ne pouvaient prétendre à plus de 24 pages par mois.

Le numéro de juillet, imprimé avec retard – comme l’annonce la rédaction – , contient un article sur le « Centre ». Après avoir caractérisé les groupements tels qu’ils existaient dans la Social-démocratie jusqu’à la guerre et soumis à la critique l’organisation du Centre groupé autour de Kautsky, l’article ajoute :

« La guerre en éclatant trouva la classe ouvrière nullement préparée. Parmi les dirigeants, le nombre des opportunistes se révéla plus grand que prévu.

« Ils assumèrent la responsabilité de la guerre. Et comment se sont comportés les partisans de Kautsky, le Centre du Parti ? En complet désarroi idéologique, ils n’eurent plus qu’une idée en tête, éloigner l’organisation de tout péril. Alors que le Centre marchait, main dans la main avec les sociaux-impérialistes, il se différenciait d’eux par la pensée qu’après la guerre il pourrait reprendre la vieille chanson; les opportunistes avaient déclaré fort justement : il est indispensable de tirer de la politique du 4 août toutes les conséquences !

« Actuellement le Parti est déchiré par une lutte intérieure qu’il n’a jamais connue dans toute son histoire. L’impossibilité de déclarer ouvertement les divergences ne fait qu’envenimer la situation. Les contradictions ne concernent pas seulement l'évaluation de la guerre mondiale et de la future politique de la Social-démocratie. Elles consistent dans la différence de l'activité. A la Droite social-impérialiste qui persévère dans la collaboration dans tous les domaines – même dans le futur, la Gauche répond par une propagande et une action diamétralement opposées. La Droite s’efforce de chasser la Gauche du Parti. Que fait le Centre ? Il défend en réalité la politique de la Droite. Il déplore les excès tant de la Droite que de la Gauche, recommande la patience et réchauffe les vieilles espérances que l’on peut guérir l’Impérialisme de « ses dangereuses tendances ». Si Kautsky et ses partisans se fâchent de temps à autre contre les résultats de la politique de l’aile droite, s’ils sont convaincus de pouvoir conserver les vieux principes, ils ne font qu’augmenter le chaos. C’est une profusion d’arguments semblables que Kautsky offre aux éléments du Parti qui, même dans cette tempête mondiale, ne veulent pas être arrachés à leur tranquillité. Grâce à la grande autorité dont jouit Kautsky auprès des masses laborieuses, en tant que principal vulgarisateur de Marx, il arrête le processus de l’explication idéologique.

« Il est impossible de lutter contre la Droite sans lutter contre les conceptions de Kautsky. La lutte contre ce dernier n’est pas une lutte à l’intérieur du camp marxiste; elle n’est pas une séparation de la Gauche. C’est une lutte pour le transfert des principes marxistes dans la période historique actuelle, une lutte pour l’union de tous les éléments de gauche du Parti, dont une fraction, sous l’influence de Kautsky, balance de droite à gauche, attaque la Droite en paroles, mais la soutient en fait. »

Comme on le sait, cette lutte décisive menée par la Gauche aida Kautsky à sortir du quiétisme où il se trouvait depuis le début de la guerre. Le manifeste signé de son nom, en dépit des limitations politiques et particulièrement tactiques de son contenu – en un certain sens grâce à ces limitations – porta un coup inappréciable à cette politique « de tout va très bien » dont Kautsky avait été le théoricien pendant toute la guerre. La position du Centre fut politiquement compromise irréversiblement. Le Manifeste de Bernstein, de Haase et de Kautsky donna une impulsion indubitable à la pensée de larges cercles du Parti. Mais ne représentant qu’un pas timide hors du Bloc national, le Manifeste contient des « excès », c’est-à-dire des conclusions tactiques à tirer à partir des tentatives des Révolutionnaires internationalistes. Voilà pourquoi la lutte de la Gauche et du Centre n’a pas encore dit son dernier mot. Les masses laborieuses sortiront d’autant plus vite de la tutelle idéologique du Centre, que la Gauche accomplira avec plus de décision son travail de critique et de propagande.

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