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Léon Trotsky 19151229 Les briseurs de grève politiques

Léon Trotsky : Les briseurs de grève politiques

(Nouvelles « élections » au Comité de l’industrie de guerre)

[Naché Slovo, No. 277, 29 décembre 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 107-109]

Les nouvelles élections du 29 novembre, avec une parfaite désinvolture vis-à-vis du prolétariat, sont un nouveau chapitre dans le livre de la honte social-patriotique. Aux élections de septembre, au bloc de tous les Internationalistes, s’opposait celui des Sociaux-patriotes groupant toutes les nuances, depuis l’ultra-violet de Plékhanov jusqu’au rose pâle du Comité organisateur. Nous avons déjà montré que les sociaux-patriotes disposent de l’aide directe de la presse libéralo-bourgeoise et de celle, moins directe mais tout aussi efficace, de l’appareil policier qui, ne quittant pas les patriotes d’un cheveu, les secourt dans leurs efforts pour influencer les travailleurs.

Mais la logique est impitoyable. L’alliance réalisée aux élections de septembre, entre les partisans de Plékhanov et de Naché Diélo d’un côté et de l’autre Goutchkov et Khvostov, s’avéra bientôt insuffisante. Ayant reçu, malgré le puissant appui du pouvoir, un bon coup sur la tête, les sociaux-patriotes ne déposèrent pas les armes : ils avaient goûté à la puissance que donne la proximité des puissants en lutte contre le parti révolutionnaire illégal. Ils résolurent d’accomplir un pas de plus en avant et de conclure un pacte avec l’indubitable politique policière de Khvostov, contre la volonté tout aussi indubitable du prolétariat. Mais la première tentative de falsifier l’opinion des travailleurs ne réussit pas. Recommencer l’expérience sur une aussi vaste échelle était risqué. Il restait, en évitant les masses, à falsifier les volontés déjà exprimées des électeurs. Dans ce cercle étroit de 200 personnes, on peut toujours espérer mener à bien le travail de corruption du Social-patriotisme grâce à toutes les circonstances offertes par les pressions capitalistes et policières. Déclarer illégal le rassemblement des élus allait de soi. Il ne restait plus qu’à fournir le prétexte valable. Le partage des besognes politiques exigeait que les sociaux-patriotes fournissent ce prétexte. En vérité, pour cela, il fallait sacrifier son honneur révolutionnaire. Mais, dans ce secteur, il en restait si peu que ce n’était pas la peine de se passer le mors. Gvosdiév, leader du bloc social-patriotique et président de l’Assemblée, prit l’initiative honteuse de déclarer la réunion « illégale », car un dangereux agitateur s’était introduit sous l’identité et avec les papiers d’un des participants. Qu’un agitateur ait agi politiquement avec légèreté, c’est un fait incontestable, et il serait tout aussi léger de fermer les yeux sur ce cas. Quand un agitateur apparaît « illégalement » à une assemblée de travailleurs, où l’attend une atmosphère de sympathie, c’est une chose; c’en est une autre que de se présenter à une réunion où une partie des participants lui est hostile. Autant nous nous sentons les ennemis des sociaux-patriotes, autant nous savons que nous n’avons aucune indulgence à attendre de leur part : le danger est alors d’autant plus grand pour une manifestation « illégale » de paraître aux yeux des ouvriers une violation de leurs droits. Cette conception, qui s’applique entièrement à notre camp, ne diminue en rien la honte du procédé employé par Gvosdiév. S’il fallait une preuve criarde, convaincante au suprême degré, de l’impossible « comptabilité » entre nous et les sociaux-patriotes, elle se trouve bien là, sous nos yeux. Le leader des sociaux-patriotes dénonce la présence illégale d’un agitateur pour annihiler la décision prise, en dépit de tous les obstacles dressés par la majorité des travailleurs pétersbourgeois. En publiant la dénonciation de Gvosdiév Rabotchoé Outro le sermonne pour son pas trop franc, mais donne entièrement son adhésion politique aux conséquences de ce geste, dans lesquelles le social-patriote continue, sans être molesté, à jouer un rôle déterminant.

« Il faut user des élections jusqu’au bout, indépendamment du rapport à la participation envers la défense nationale. » Telle était « l’idée » poltronne, dépourvue de principe, des cercles de l’O.K. – une idée qui n’est qu’une forme à demi-masquée de capitulation devant le Social-patriotisme. De fait, les éléments « diplomates » de l’O.K. ont livré une formule vide aux éléments « patriotes » qui se sont empressés de la remplir d’un contenu politique de leur choix. Tout compte fait, les élus de l’O.K. se sont retrouvés 81, alors que nous sommes fiers d’en avoir 90.

Mais l’affaire n’en reste pas là. Goutchkov et Khvostov se sont portés à toute allure à la rencontre de Gvosdiév. Leurs efforts conjugués fournirent encore une quinzaine d’électeurs au bloc social-patriotique de septembre.1 Après que les Internationalistes eurent quitté la salle en signe de protestation (Riétch parle de Bolcheviks et de Populistes), le héros de ce petit coup d’état gouvernemental, Gvosdiév, rassembla 95 électeurs sous sa bannière. Dix « représentants » ouvriers furent choisis pour entrer dans le Comité de l’industrie de guerre et six, dans celui de l’armement. « L’utilisation organisationnelle », indépendante des principes politiques, consiste pour les « leaders » à se débarrasser des principes moraux. Les électeurs que l’O.K. entraîna dans le camp des Plékhanov et Potriessov, se sont retrouvés par la logique des choses sous le drapeau gvosdiévien.

Il est pour le moment absolument indifférent de savoir si ces électeurs pourront se maintenir au Comité, ou s’ils partiront en claquant la porte, en portant, malgré eux, un coup sensible à la « défense nationale » qu’ils s’apprêtent à servir. Il est indubitable que les sociaux-patriotes supporteront les plus cruelles épreuves, en usant pour les surmonter, de leurs influences et de leur réputation.

Mais il est indispensable de bien se mettre en mémoire le fait politique sur lequel aucun membre de notre parti ne doit fermer les yeux : le bloc social-patriotique a amené à la scission au sein du prolétariat pétersbourgeois; ayant subi une défaite, il s’est allié aux autorités afin de falsifier la volonté du prolétariat, et, passant par-dessus la tête de la majorité révolutionnaire, a envoyé ses partisans dans une organisation de défense nationale.

Ont adhéré à ce bloc les électeurs rassemblés sous le drapeau du Comité organisationnel.

Nous avons devant nous la pire forme de la méthode employée par les « briseurs de grève politiques ». Mais un tel procédé conduit à deux réactions : indulgence et participation, ou bien résistance organisée, acharnée et inlassable.

1 213 convocations furent envoyées, 185 parvinrent à destination, il y eut 153 électeurs, puis 23.

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