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Léon Trotsky 19151117 Les groupements dans la social-démocratie allemande

Léon Trotsky : Les groupements dans la social-démocratie allemande

[Naché Slovo, No. 242, 17 novembre 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 174-176]

A propos de l’article du camarade Boukvoiéd (Riazanov) – « Mehring face à la guerre » – la direction estime indispensable de fixer sa position au sujet de la question posée par cet article, particulièrement en ce qui concerne les groupements dans la Social-démocratie allemande.

« Il est admis de considérer, nous dit le camarade Boukvoiéd, l’aile extrême des Internationalistes allemands comme constituée par le groupe “ Internationale ».1 ” Nous sommes entièrement d’accord. Nous ne nous sentons nullement obligés de partager toutes les opinions théoriques et les critères tactiques du groupe entier ou de chacun de ses membres, mais nous reconnaissons que le courant, sous le drapeau duquel paraît le journal L’Internationale, représente le flanc gauche de l’Internationalisme allemand et qu’il nous faudra, avec ce groupe, marcher, la main dans la main, dans notre lutte future. Nous sommes loin de vouloir rapetisser la signification de l’orientation théorique de la Social-démocratie ou de ses différents courants. Nous ne doutons pas que des divergences non seulement philosophico-historiques, mais de tactique, soient possibles et même inévitables. Mais les groupements normaux se définissent et s’unissent par-dessus tout par leur position politique et active. Sous cet angle notre solidarité va entièrement à ce groupement dont l’action politique s’exprime par les votes et les déclarations de Liebknecht, dans le manifeste appelé « Manifeste 200 », dans les proclamations illégales, comme « Votre principal ennemi est dans votre pays », etc., etc.

Comme le déclare le camarade Boukvoiéd dans son article, Liebknecht orientait sa conduite, au début de la guerre, suivant le critère de la guerre offensive et libératrice. Nos lecteurs savent que nous regardons ce critère comme absolument impropre et nous ne pouvons que renvoyer le lecteur aux autres articles de Boukvoiéd où celui-ci dénonce cette impropriété avec une pleine conviction. Mais nous estimons indispensable de rappeler que dans la déclaration prononcée par Liebknecht à l’occasion du second vote des crédits de guerre, il n’a pas donné à son vote une argumentation formelle, non du point de vue de la guerre offensive ou défensive, mais du point de vue révolutionnaire et socialiste. On peut déplorer que Liebknecht n’ait pas adopté de suite cette position et qu’il ait marché avec Haase. Mais cette rectification tardive nous donne peu de possibilité pour nous orienter dans les groupements actuels de la Social-démocratie. Depuis le 4 août, quinze mois se sont écoulés. Les positions ont eu le temps de se définir. Le nom de Liebknecht – quelle force d’action politique ! – est devenu dans le monde entier le synonyme de courage socialiste, tandis que les noms de Haase et de Kautsky ne sont, dans les meilleurs cas, que synonymes de compromission.

Kautsky avait, déjà avant-guerre, compris le danger que présentaient les mots « défense » et « offensive » pour la tactique du prolétariat. Au Congrès d’Essen, en 1907, il avait répondu à Bebel en termes prophétiques.

Quand cette prophétie, présentée par Kautsky comme un argument logique, devint une tragique réalité, Kautsky capitula devant la majorité du Parti acquise au nationalisme, en employant les arguments qui le compromettaient le moins. Il démontra que tout allait très bien; il ferma les yeux sur la monstrueuse démoralisation dans les rangs du Parti, il rassura les mécontents et les invita à observer la discipline. Si l’opposition dans le Parti, au premier rang Liebknecht, éleva la voix, ce fut malgré Kautsky.

C’est seulement quand les contradictions entre la majorité et l’opposition arrivèrent au suprême degré de tension que Kautsky, ne se rapprochant pas de l’opposition et ne signant pas le « Manifeste 200 » (si profondément de principe), reconnut, enfin, la différence des tendances impérialistes et du Socialisme allemand, et qu’il protesta, il est vrai avec Bernstein et Haase, mais uniquement contre les menées annexionnistes. Quand, plus tard, on souleva la question du rétablissement des relations internationales, Kautsky et Bernstein se rendirent à Berne pour des pourparlers stériles avec Jouhaux; mais tous les trois, évidemment, furent absents à Zimmerwald. Pour autant que furent présents à cette Conférence des éléments qui de la Gauche se rapprochaient de Kautsky, comme Ledebour et d’autres révolutionnaires, y compris la délégation de Naché Slovo, il fallut persévérer dans la ligne de la Gauche allemande (« Internationale », « Manifeste 200 ») contre celle passive et pacifiste du « Manifeste des trois » (Kautsky, Bernstein et Haase).

De tout ce que l’on vient de dire, il ressort clairement que nous nous solidarisons avec le groupement « Internationale », avec Liebknecht et Zétkine, les représentants les plus marquants du courant international qui va en grandissant dans le mouvement ouvrier allemand. Ces éléments mènent une lutte courageuse contre la « Paix civile », démasquent l’idéologie hypocrite de la « Défense nationale », brisent les cadres de la légalité et soulèvent les masses contre la guerre et les dirigeants. Main dans la main avec ces éléments, nous avons commencé et continuerons notre effort pour créer la IIIe Internationale !

1 Le groupe « Internationale » : le groupe Mehring et Luxembourg. Y sont liés idéologiquement K. Liebknecht, Clara Zétkine, etc.

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