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Léon Trotsky 19150325 Les monarchistes de Petrograd et la République Française

Léon Trotsky : Les monarchistes de Petrograd et la République Française

[Naché Slovo, No. 48, 25 mars 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Paris 1974, pp. 154-155]

L’État-major général de la Marine a conclu récemment dans son bulletin Morsky Sbornik « qu’il n’y a plus de République en France ». Et par-dessus le marché « les ministres sont des jouets aux mains des députés ». Et encore plus beau : « la Chambre ne jouit pas d’une réputation sans tache ». Ah !… Mais là ne se termine pas ce paradoxe politique que n’aurait pas imaginé un auteur satirique à moins de réunir les talents de Saltykov et de Paul-Louis Courrier. Notre État-major général ne se contente pas de faire la leçon aux parlementaires français, il leur montre la nouvelle voie où ils doivent s’engager, et ce impérieusement : la République doit retourner à Dieu ! et changer sa forme de gouvernement : les « tyrans grotesques » du parlementarisme doivent se transformer en une monarchie non ridicule.

Nous n’avons pas la vocation de défendre la République, de la « blanchir », d’autant plus qu’elle compte suffisamment de défenseurs. En aucun cas, nous ne voulons refuser le droit à l’État-major de la Marine de créer l’agitation pour changer la forme du régime en France, de passer de Poincaré au duc d’Orléans. Nous ne voulons pas non plus résoudre la question : jusqu’à quel point est déplacé le ton hautain et effronté avec lequel il est parlé du Parlement français ? Mais nous voudrions simplement demander : est-il possible en France d’agiter si librement la question de la monarchie russe comme celle-ci se le permet vis-à-vis de la République ? Notre expérience de la presse russe à Paris nous fait répondre : c’est impossible ! Ce n’est pas tout. La censure vient de biffer l’article de tête.

Il nous est interdit de publier un article nécrologique – à vrai dire, pas tellement respectueux – sur le comte Witte. En même temps, en Russie, on publie une nécrologie « meurtrière » d’un parlementarisme bien vivant ! Où est-elle publiée ? Non pas dans un journal indépendant comme le nôtre dont la République n’est nullement responsable, mais dans une revue officielle aux frais du gouvernement russe, chez qui, et c’est bien connu, les louis d’or républicains n’occupent pas la dernière place. Ce n’est pas la peine d’examiner ce paradoxe sous d’autres faces, on en reviendrait toujours au même point ! Ce qui nous chagrine, ce sont les conclusions politiques. Mais nous serons plus brefs, et plus encore, modestes. Les liens de la censure ne peuvent nous faire admettre une démocratisation de l’influence française sur la Russie. Mais ils ne font pas de nous des partisans du duc d’Orléans. Nous sommes loin de réclamer des « scorpions-censeurs » pour les monarchistes et les bonapartistes de Pétrograd aussi bien de terre que de mer ! Mais nous voulons répondre à cette atteinte à la souveraineté du peuple français. Avec votre permission, Monsieur le Censeur, voici un slogan qui sonne bien, et aussi en russe : « Vive la République » !

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