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Léon Trotsky 19150429 Va la banque !

Léon Trotsky : Va la banque !

[Naché Slovo, No. 77, 29 avril 1915. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Paris 1974, pp. 155-156]

Le 29 Janvier, le Conseil Impérial organisait une réunion des sommets bureaucratiques, capitalistes et nobles, pour discuter des buts économiques – peut-être pour soutenir le moral patriotique. La guerre a, de fait, renforcé le mécanisme constitutionnel, pas seulement en Russie. Les partis populaires se sont laissé enchaîner volontairement par les fers de « l’Union sacrée » ou bien, comme chez nous, s’enchaînèrent pour soutenir le parti de la majorité parlementaire. Le pouvoir est libéré de tout contrôle, même sous la forme de la plus légère critique, et s’interpose comme un mécanisme de transmission entre le peuple et la guerre exigeante. De même qu’à la mobilisation, tous les règlements et horaires des chemins de fer sont bouleversés, de même, le pouvoir, particulièrement en Russie, bouleverse toutes les normes habituelles, n’ayant qu’un seul but : comment profiter le plus possible et le plus vite possible de la génération contemporaine ?

De même que le bouleversement des horaires finit par conduire à la confusion, de même le gouvernement de guerre multiplie fiévreusement ses efforts, et plus la guerre se prolonge, plus elle conduit à l’impasse. Le changement du monopole de l’eau-de-vie, présenté comme une mesure héroïque, revient pour l’ancienne bureaucratie à n’être qu’un jeu : Va la banque ! Un milliard de plus ou de moins, n’est-ce pas la même chose ? Mais plus la guerre se fait impérative, plus les gouvernements regardent le fond de leurs bas de laine, plus les classes dirigeantes doivent se demander : la bureaucratie sait- elle où elle va, où elle conduit la nation ? La conférence économique décidée par le Conseil Impérial est le fruit de toute cette agitation. Les ministres sont venus à la conférence « pour un échange d’opinions » avec les représentants des « intérêts réels », Von Ditmar et Avdakov, et ceux de « la raison d’État » en la personne de bureaucrates en retraite. En tout cas, ce Comité de salut public n’aura pas duré longtemps ! La première séance eut lieu le 29 janvier, le 29 avril la conférence fut close de façon inattendue. Partager la responsabilité avec des piliers de l’ordre comme les membres du Conseil d’Empire était plus que la timidité maladive du pouvoir n’en pouvait supporter. Elle était comme la Suzanne de la Bible, elle n’avait pas la force de résister aux regards des honorables anciens conseillers secrets de l’ancien régime ! Notre nouvelle Suzanne, dont les mœurs, comme celles de la femme de César, sont au-dessus de tout soupçon, s’est rageusement enfermée dans son peignoir dont les pans ont frappé tant de nez si haut placés ! Le principe : Va la banque ! ne souffre aucune limitation. Telle est la morale de ce jeu, de cette plaisanterie d’avril, faite par le régime… mais sur lui-même.

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