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Léon Trotsky 19160629 Argument sous forme de coup de sabot

Léon Trotsky : Argument sous forme de coup de sabot

[Naché Slovo, No. 150, 29 juin 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 129-131]

La guerre qui est devenue une composante « organique » de l’Europe, est entrée à nouveau dans une période de soubresauts. Les armées alliées font des efforts désespérés pour briser le cercle enchanté – enchanté pour les deux camps belligérants. Cette fois-ci, l’initiative a été dévolue à la Russie, soit que les Alliés aient voulu se rendre compte de la capacité combative de l’armée russe avant de commencer, soit que la simultanéité des offensives n’ait pas été possible à réaliser. Nous ne sommes pas à même de juger si, d’après les résultats des récentes opérations militaires, les États-majors alliés ont estimé les troupes russes capables d’une offensive méthodique et décisive. Il est incontestable, cependant, que jamais la presse française ne s’est montrée si réservée, en dépit des symptômes favorables. A part quelques feuilles de chou qui ressortent le cliché déjà trop usé du « fameux rouleau compresseur », le reste de la presse a eu, après deux ans de guerre, le temps de comprendre que la guerre est devenue une question de matériel, que l’offensive est une débauche insensée de matériel et que toute offensive de grand style ne peut être menée à bien que si le pays lui garantit un apport constant de ce matériel. Après les alternatives de succès et de défaites, il est établi que les productions de guerre sont arrivées au même niveau. Les facteurs subjectifs tels que le choix des généraux, la mentalité du combattant, la coordination des efforts, ont une grande signification, mais ne peuvent produire de miracles. Voici pourquoi nous n’attendions pas et nous n’attendrons pas de miracles.

Nos lecteurs – aussi bien nos amis que nos adversaires de bonne foi – savent que nous n’avons jamais fait dépendre le sort du Socialisme de l’issue des combats. Les Sociaux-patriotes nous accusent de deux péchés. Primo : nous ignorons les causes directes de la guerre, les bornant à la rivalité impérialiste des grandes puissances; ensuite : nous ignorons également l’influence possible que peut prendre la victoire de l’un ou l’autre camp sur le développement de la Démocratie et du Socialisme. Nous acceptons ces deux chefs d’accusation; c’est justement pour eux qu’a commencé notre lutte contre les Sociaux-patriotes.

C’est pourquoi la position adoptée par Prisiv nous semble inattendue; le front autrichien est percé, écrit ce journal unique en son genre, et par conséquent le front zimmerwaldien est percé ! Par quels moyens ? Nous sommes capables d’évaluer plus ou moins justement le rapport des forces et les considérations stratégiques. Mais on nous accuse – et avec raison – de baser notre politique sur les rapports entre l’Impérialisme et la Révolution prolétarienne. De quelle façon, donc, l’avance des armées russes de quelques kilomètres détruit les principes et les méthodes de Zimmerwald ? Et si Verdun tombait, ne serait-ce pas, si l’on suit la logique de Prisiv la confirmation des conceptions de Kienthal ?

Il est évident que nous nous trouvons devant une pure absurdité. Cependant on peut discerner une espèce de logique chez les gens de Prisiv. Ils ont donné ce qu’ils considéraient autrefois comme les idéaux et les problèmes du Socialisme au Grand-État-Major. Dans les moindres succès du Grand Quartier Général, ils voient une réponse aux arguments théoriques et aux conclusions politiques qui dépassent la mesure de leurs cerveaux ? Mais si tout leur bagage intellectuel est placé sur la croupe d’un cheval cosaque, il ne s’ensuit pas que la politique de Zimmerwald puisse être renversée par un argument sous forme de coup de sabot.

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