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Léon Trotsky 19160818 Comment combattre le Longuettisme

Léon Trotsky : Comment combattre le Longuettisme ?

[Naché Slovo, No. 189, 18 août 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 154-155]

Nous pensons que les objections de Lozovsky avec lequel la rédaction – pendant son éloignement de Paris – n’eut pas la possibilité d’échanger ses points de vue au sujet des problèmes soulevés et d’apaiser les malentendus, nous pensons que les objections de Lozovsky ne sont pas justes et qu’elles sont dangereuses par leurs conclusions politiques. Nous laissons de côté, pour le moment, les objections en ce qui concerne les groupements dans le syndicalisme correspondant aux organisations fondamentales du Parti socialiste : la résolution de cette question exigerait une analyse détaillée qui nous entraînerait loin du problème de tactique et de principe soulevé par Lozovsky. Disons seulement que, dans la rédaction du projet de résolution, participèrent non seulement des socialistes, mais aussi des syndicalistes suffisamment versés dans les questions des groupements internes du Socialisme français.

Quelles sont les objections de principe de Lozovsky ?

En premier lieu, la Déclaration soupçonne la bonne foi des Longuettistes en parlant du « désir conscient de tromper les travailleurs ». En fait, la Déclaration ne dit pas cela, mais les citations que nous fournit Lozovsky disent tout-à-fait autre chose. Les Longuettistes veulent-ils détourner les masses de la lutte contre la guerre ? Ils ne le cachent pas en se déclarant contre « Zimmerwald ». Ils sont passés à l’opposition, produisant l’un après l’autre des slogans de second ordre (tels que la Conférence des partis « alliés »), sous la pression du mécontentement et de l’inquiétude des masses : ils tentent, en pleine conscience, de discipliner ces masses et d’apaiser leur mécontentement, afin de ne pas gêner la « défense nationale » et le bloc sacro-saint. Présenter l’affaire en disant qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, est de la pure illusion. Ce sont des vétérans de la politique qui ont trempé dans toutes les eaux et qui agissent en pleine conscience – plus conscients que bien des Zimmerwaldiens qui s’égarent désespérément dans leur comportement vis-à-vis des Longuettistes soit en se soumettant à leur critique impitoyable, soit en capitulant devant eux. Que le camarade Lozovsky se souvienne au moins de la position des Zimmerwaldiens la veille du dernier Congrès national quand ils déclaraient que les Longuettistes asséneraient « un coup de poignard dans le dos » à l’opposition allemande, mais ils n’empêchèrent pas Bourderon de voter pour la résolution de Longuet. Pour une minorité numériquement aussi faible que les Zimmerwaldiens, ce serait courir un danger mortel que de se représenter ses adversaires politiques comme faibles intellectuellement et de se poser des problèmes idéologiques de défense au lieu de questions politiques et combatives. Sous-estimer l’ennemi est, en politique, la pire des fautes.

Mais, nous dit le camarade Lozovsky (l’aile gauche du Centre), ce sont nos amis de demain. C’est possible. Mais l’on peut dire avec tout autant de justesse, ce sont nos amis d’hier. Des Zimmerwaldiens tels que Bourderon et Brizon se sont rangés sous le drapeau de Longuet : remarquons en passant que la Déclaration parle de Longuettisme et non, comme chez le camarade Lozovsky, de « Centre ».

Le pont entre les deux groupes fut le slogan du rétablissement des relations internationales. La Haye ou Zimmerwald ? Quand le camarade Lozovsky insiste, à l’aide de conclusions idéologiques, sur la nécessité de participer à La Haye, en ignorant que cette question ne figure pas à l’ordre du jour et qu’une lutte implacable sévit entre les principes de La Haye et de Zimmerwald, il aide – contre sa volonté – des Zimmerwaldiens, du type Bourderon, à passer au Longuettisme. Nous le lui avons déjà démontré.

Le camarade Lozovsky, en se hâtant de nous donner des amis de « demain », ne se rend pas suffisamment compte de la distinction qu’il est indispensable d’établir avec nos ennemis d’aujourd’hui. Pour les Longuettistes, le manque de sincérité est l’arme principale du combat politique; pour les Zimmerwaldiens, elle équivaut au trépas – plus exactement à leur dissolution dans le Longuettisme. En l’ignorant, Lozovsky pousse vers cette dissolution quand il oppose à l’acte politique – la Déclaration opposant les Longuettistes aux Zimmerwaldiens – une certaine « discussion » entre eux. Si, suivant le camarade Lozovsky, en un an de travail politique après Zimmerwald, le Comité n’a pas réussi à définir sa politique vis-à-vis des Longuettistes, il n’y a aucune raison fondamentale d’espérer que l’on peut y arriver au cours de débats avec ces mêmes Longuettistes. Quand une proposition semblable fut avancée, les éléments de gauche de la Commission s’exprimèrent, aussitôt, ainsi : « Pour entamer la discussion avec les Longuettistes, il est indispensable que nous définissions au préalable notre comportement envers les Longuettistes. » C’est ce but que définit la Déclaration.

Les objections de Lozovsky concernant la composition du Comité sont, pour le moins, attardées et, en tout cas, dépassent le but : elles sont dirigées contre ce Comité qui, il nous faut le remarquer ici, gêne Bourderon et ses plus proches amis. Si la politique du Parti n’est pas soumise au jugement du Comité grâce à la présence de syndicalistes, et si la politique des syndicats est exemptée également de critique en raison du motif inverse, de quels problèmes doit donc s’occuper le Comité ? Il est faux que de la part des anarchistes et des syndicalistes adhérant à Zimmerwald, il existe une tendance à attaquer le Parti en tant que parti. Il suffit d’arguer du fait que l’anarchiste Sébastien Faure ait envoyé des félicitations aux Longuettistes, alors que le camarade Lozovsky le soupçonnait, sans aucun fondement, d’hostilité envers eux. En ce qui concerne le Longuettisme, comme dans toutes les autres questions, les syndicalistes modérés marchent avec les socialistes modérés en s’opposant aux éléments des deux camps.

Voici pourquoi nous pensons que le Comité a agi parfaitement bien quand il a approuvé, à la majorité, la Déclaration imprimée chez nous – il est vrai, elle ne l’est qu’en principe, car sa critique n’est pas encore achevée en commission. C’est la seule voie raisonnable, car de principe. Le succès pratique, c’est-à-dire l’influence sur les masses, est assurée dans cette voie. Tâchons seulement de ne pas nous en écarter.

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