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Léon Trotsky 19160501 Dans la lutte pour la IIIe Internationale

Léon Trotsky : Dans la lutte pour la IIIe Internationale

[Naché Slovo, No. 109, 10 mai 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 80-82]

Quand Morgari se rendit à Paris, le printemps dernier, pour rétablir les relations internationales, il exigea, avant tout, de Vandervelde la convocation du Bureau socialiste international. Vandervelde lui répondit par un refus catégorique : « Tant que des soldats allemands occupent la Maison du Peuple en Belgique, il ne peut être question de convoquer le Bureau. » – « Ainsi l’Internationale est un gage déposé entre les mains de l’Entente ? », demanda Morgari. – « Oui ! », s’écria Vandervelde. – « Un gage de droit et de justice », expliqua Renaudel qui, du riche répertoire rhétorique de Jaurès avait retenu quelques formules à son profit. Alors, Morgari en vint à une proposition plus modeste : la convocation à une Conférence des partis socialistes des nations neutres (rappelons, qu’à cette époque, l’Italie était encore neutre). Le Président de l’Internationale formula un refus catégorique. Morgari, en tant que représentant du Parti italien, entreprit – avec l’accord des camarades russes et suisses – les préparatifs nécessaires à l’établissement d’une Conférence internationale, malgré et contre la volonté des sociaux-patriotes. C’est ainsi que naquit Zimmerwald.

Un an et demi après, Huysmans entre en scène. Il propose la convocation du Bureau international. Il fait un voyage « de propagande » à Londres et à Paris, ne rencontre pas d’obstacle de la part des gouvernements éclairés des deux démocraties occidentales, a des entretiens avec les partis officiels et l’opposition, retourne à La Haye et y déclare, que le Bureau international ne sera pas convoqué, mais que le 26 Juillet, se tiendra une Conférence des partis « Neutres ». Il fallut tout un an à Huysmans pour s’approprier ce « programme minimal » que Morgari avait soumis à l’attention de Vandervelde.

Mais cette année, l’idée d’une Conférence des Neutres avait perdu tout sens. D’abord, l’Italie et la Bulgarie étaient passées dans les camps belligérants. Puis Zimmerwald eut lieu dans le courant de l’année. Les partis roumains et suisses participèrent à Zimmerwald. La séparation se faisait, en Suisse et en Hollande, entre les sociaux-patriotes et les Zimmerwaldiens. Si la Conférence des neutres devait avoir lieu – on ne pourra en être sûr que dans quelques semaines – , elle pourra seulement constater que la neutralité ne peut rien créer de commun entre les Internationalistes et les sociaux-patriotes. L’on pourrait déplorer les difficultés de voyage que rencontreraient les partis neutres, si les détours de la route ne les conduisaient pas à… Zimmerwald (pour certains d’entre eux du moins). Plus le point de vue zimmerwaldien sera clairement opposé à celui de La Haye, plus vite sera accompli le voyage circulaire qui mène à Zimmerwald.

Huysmans exposa dans son manifeste les motifs du refus concernant la convocation du Bureau : les Partis français et anglais ne veulent pas en entendre parler, pas plus que d’une campagne internationale pour la paix. « Non pas qu’ils ne veulent pas la paix, explique Huysmans avec un bon sens étonnant, mais ils ne veulent pas d’une paix prématurée. » Et comme l’Internationale reste un « gage de droit et de justice », Huysmans propose de se contenter de l’Internationale restreinte des Neutres. Puis il se permet de donner une leçon de morale aux Zimmerwaldiens, « ces camarades impatients », qui ont osé sauter par-dessus les frontières et les cordons policiers et aussi… par-dessus la tête de Huysmans ! Quelle attitude peut être plus lamentable et plus honteuse que celle d’un Secrétaire de l’Internationale recommandant la patience et le silence aux socialistes qui renouent les liens internationaux, et ce, après vingt-deux mois de guerre ! De surcroît, Huysmans considère Zimmerwald comme une intrigue… russe. (Il parle des méthodes schismatiques des socialistes dans ce pays, où « il n’y a pas encore de démocratie ».) Pour son esprit bureaucratique borné, il faut soutenir Renaudel contre Longuet et Bourderon, Scheidemann contre Haase et Liebknecht. Contre sa volonté, mais de façon plus frappante encore, Huysmans désavoue les Laskine français et russes qui ne sont pas loin d’attribuer Zimmerwald aux menées de Bethmann-Hollweg.

Les premières nouvelles qui nous parviennent disent que les Zimmerwaldiens ont résolu de faire convoquer le Bureau, que cela plaise ou non aux Français et aux Anglais. Nous ignorons en quels termes cette résolution est formulée, ni quelle majorité l’a adoptée.1 Ce n’est pas une surprise pour nous. Cela signifie que pour beaucoup le chemin de Zimmerwald n’est qu’une étape forcée sur la route de La Haye. En d’autres termes, beaucoup de Zimmerwaldiens regardent le rétablissement de la IIe Internationale comme le problème actuel. Ils veulent la rétablir telle qu’elle était jusqu’au « malentendu » ou « la catastrophe » du 4 août. D’aucuns appuient l’idée de Haase par des conceptions idéologiques. Nous ne tenons ni pour les uns, ni pour les autres. Nous regardons avec une méfiance totale les utopies bureaucratiques de rétablissement d’une organisation dans le genre de la IIe Internationale. Nous ne reconnaissons que la voie organiquement révolutionnaire : l’épanouissement et l’union de groupes initiateurs, d’organisations et de partis prolétariens, sur les bases de nouvelles méthodes et de nouveaux problèmes. Plus exactement : nous voulons adapter les vieux principes aux conditions et aux questions de notre époque. Comme nous ne convertissons pas la politique en pédagogie pour arriérés, nous aurions pu voter contre la demande de la convocation du Bureau. Cette résolution ne nous effraie nullement : elle caractérise le niveau du mouvement. Il faudrait donner aux cadres zimmerwaldiens, pour qu’ils trouvent le chemin menant à la III° Internationale, la même expérience que dut acquérir le Comité central du Parti Italien incarné par Morgari. Nous, Internationalistes révolutionnaires, conservons la même position indépendante et critique envers les Internationalistes passifs, les pacifistes, les organisations restauratrices qui se dirigent de notre côté; nous les aiderons, ainsi que les masses qui leur sont proches, à franchir la période d’indécision, de recherches, de regards en arrière et d’hésitation entre La Haye et Zimmerwald, pour déboucher sur la grande route de la révolution qui conduit au pouvoir.

1 En tout cas, nous sommes sûrs que la résolution n’a rien de commun avec celle de Longuet-Bourderon « approuvant » le comportement de Huysmans.

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