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Léon Trotsky 19160808 Déclaration proposée au comité pour la reprise des relations internationales

Léon Trotsky : Déclaration proposée au comité pour la

reprise des relations internationales

[Naché Slovo, No. 182, 8 août 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 150-153]

L’opposition en France se compose de deux groupes : les Longuettistes et les Zimmerwaldiens. Comment ces derniers peuvent-ils et doivent-ils regarder la politique longuettiste ? La réponse à cette question a une importance considérable : pour pouvoir exister en tant qu’organisation indépendante, nous, les zimmerwaldiens, devons savoir clairement ce que nous avons l’intention de faire et ce qui nous sépare des longuettistes. Si nos différences étaient secondaires, ce serait un crime que de diviser nos forces.

En quoi consiste la politique des Longuettistes ? Dans toutes les questions fondamentales, ils marchent la main dans la main avec la majorité du Parti socialiste, par conséquent avec les partis de l’Impérialisme bourgeois. Les longuettistes regardent la guerre comme étant leur guerre. Ils ont inscrit sur leur drapeau tous les slogans qui illusionnent les masses : « Défense nationale »… « Rétablissement du droit »… « Destruction du militarisme » (au moyen de la guerre), etc. Ils portent la responsabilité devant l’Histoire de la transformation du Socialisme français en une arme au service de l’Impérialisme. Ils continuent sciemment à augmenter le poids de cette responsabilité en approuvant les crédits militaires qui servent à l’anéantissement des peuples.

C’est cette politique que suivent les Longuettistes, après deux ans d’une guerre dont le sens n’échappe plus à personne. Nous les jugeons d’après leurs actes et non d’après leurs pompeux discours. A la lueur de leurs actions politiques, toutes les déclarations « internationalistes » des Longuettistes manquent de signification sérieuse. Du point de vue de la lutte de classes, ces déclarations présentent soit une phraséologie vide, soit, pis encore, un moyen de masquer aux masses le caractère purement gouvernemental du Socialisme officiel.

Le bloc impérialo-gouvernemental a besoin du Socialisme officiel qui discipline les masses laborieuses et les soumet au militarisme en usant de l’autorité du Socialisme. C’est exactement ce qui se passe entre le Socialisme officiel et les Longuettistes qui groupent autour d’eux les éléments mécontents, apaisent les consciences socialistes et les obligent à adopter cette politique que suit la majorité guidée par Renaudel.

Le premier slogan « oppositionnel » des Longuettistes est la convocation du Bureau socialiste international.

Les Congrès internationaux, et en particulier le dernier, celui de Bâle, exigeaient que le B.S.I. continue son activité pendant la guerre. Mais cette dernière est caractérisée par la résolution du Congrès comme devant être la lutte pour la cessation immédiate de la guerre et l’exploitation des terribles dommages infligés aux masses laborieuses, afin de mobiliser celles-ci contre le Capitalisme. Mais les Longuettistes, en appliquant mécaniquement les exigences du Congrès de Bâle, à savoir la convocation du Bureau socialiste, ne renoncent pas à pratiquer « l’Union sacrée ». D’un autre côté, il est parfaitement clair que, sur la base de la paix sociale au sein de chaque nation, l’existence du Bureau serait dépourvue de toute signification. Plus encore, il s’avère que la convocation du Bureau, dans ces conditions, est pratiquement dépourvue de valeur. Donc, le principal slogan des Longuettistes – le rétablissement des relations internationales – est privé de tout contenu socialiste; il est pratiquement illusoire et n’a pour seul effet que d’apaiser les masses en leur présentant un espoir brumeux quant au travail sauveteur accompli par le Bureau socialiste. Plus encore, plus se dévoile l’inutilité de la politique de Huysmans à mesure que la convocation du Bureau employée comme slogan sera opposée à la force montante de Zimmerwald. D’où la nécessité pour les Longuettistes de promouvoir un nouveau programme. Ils insistent maintenant – avec l’indécision qui est la marque même de leur nature – sur le retrait des socialistes du gouvernement. Il est hors de doute que la logique et l’esprit de suite ne sont pas du côté des Longuettistes; un Parti qui participe à l’Union sacré et soutient la guerre n’est pas fondé à refuser une participation au Pouvoir; mieux encore, du moment qu’un Parti juge possible de mettre des milliards à la disposition d’un ministre, il a le droit de superviser l’usage de ces sommes. L’antiministérialisme des Longuettistes n’a pour but que d’apaiser la conscience éveillée des travailleurs et de les détourner de leur vraie lutte.

Si la politique de la majorité, conduite par Renaudel, Sembat et Guesde, enterre l’avenir du Socialisme français, celle des Longuettistes menace de compromettre l’idée même de l’opposition au Socialisme officiel.

Aux yeux des larges masses populaires, le gouvernement de guerre, la dictature militaire, le Socialisme officiel, le syndicalisme officiel et la soi-disante opposition des Longuettistes doivent fusionner en un seul bloc lié par une politique commune et une responsabilité commune.

La politique Longuettiste n’est pas l’apanage du Parti : elle se retrouve avec des variantes correspondantes dans les rangs des syndicats. Dans la proximité immédiate des ouvriers, la politique ouvertement pro-gouvernementale des Sembat et des Thomas est impensable. Plus la clique syndicaliste se lie au char sanguinaire de l’Impérialisme, plus ses dirigeants – tel Jouhaux – s’efforcent, en apparence, de s’écarter de la politique gouvernementale, et plus ils multiplient les déclarations et les gestes semi-oppositionnels. Leur journal La Bataille comporte de nombreux blancs, signe de son attachement à la lutte des classes ! La différence entre la conduite des Longuettistes et celle des partisans de Jouhaux provient de la non-identité objective de leurs conditions et de leurs activités : les Longuettistes conservent une apparence d’opposition au sein de l’organisation du Parti, alors que Jouhaux et C“ forment la majorité dirigeante de la C.G.T. D’un autre côté, Jouhaux et C°, n’étant pas députés, ne sont pas obligés d’approuver les crédits et conservent une apparence d’indépendance vis-à-vis de la bourgeoisie parlementaire. Mais sous ces différences extérieures, se dissimule la même tendance fondamentale qui s’efforce de soutenir la politique sanglante du pouvoir, en masquant cette aide par des déclarations et des gestes semi-oppositionnels.

Donc, définir la position des Zimmerwaldiens par rapport au Longuettisme n’est pas seulement une affaire intérieure socialiste. Dans la même mesure, cette question concerne les syndicalistes révolutionnaires, de même que la politique de la C.G.T. concerne directement les socialistes révolutionnaires.

Il est tout à fait clair qu’il n’y a aucune différence de principe, aux yeux des Zimmerwaldiens partisans de la lutte de classes révolutionnaire, entre les positions de Renaudel et de Longuet. Si nous voulons réellement combattre le Social-patriotisme et freiner la chute du mouvement ouvrier, nous avons le devoir de répéter partout aux travailleurs la vérité sur le Longuettisme : ce dernier n’est qu’une arme nécessaire de la bourgeoisie, un Socialisme désarmé et inoffensif, qui dans l’intérêt de l’exploitation des masses se sert de la phraséologie de l’Internationalisme et de quelques articles inoffensifs de son Programme.

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