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Léon Trotsky 19160804 Deux ans

Léon Trotsky : Deux ans

L’Europe entre en sa troisième année de Guerre

[Naché Slovo, No. 179, 4 août 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 87-88]

Les journaux français constatent que la presse allemande a baissé le ton – ce n’est pas judicieux. Le bloc central n’a résolu ses problèmes sur aucun front. Mais le commentateur du Bonnet Rouge auquel on ne peut nier un jugement sain en ce qui touche les opérations militaires, constate avec raison que les articles rassurants de la presse française à l’occasion du second anniversaire de la guerre, adoptent un autre ton. Même Hervé, dont le succès commercial est dû à son « optimisme robuste », a jugé indispensable de rappeler que l’Allemagne possède soixante-neuf millions d’habitants contre trente-neuf millions de Français et que l’appel de chaque nouvelle classe concerne un demi million d’Allemands et seulement deux cent mille Français. Si le sort de l’offensive anglo-française en juillet a de nouveau renversé les calculs des imbéciles et les prophéties des charlatans, les chiffres significatifs cités par Hervé apportent les corrections indispensables à la théorie passive de l’épuisement du matériel humain en Allemagne. Bien sûr ! les réserves d’hommes anglaises et russes rendent optimistes les critiques militaires de l’Entente. Mais on peut y opposer la supériorité technico-industrielle incontestable de l’Allemagne. L’insuffisance en produits alimentaires est indubitable en Allemagne et se traduit par de sévères mesures de rationnement. Mais cette réglementation met l’Allemagne à l’abri de toute surprise, de ce côté-là. En même temps nous voyons en Russie des dizaines de villes soumises au rationnement. Mais ce système possède tous les défauts de son équivalent allemand, sans en avoir les qualités.

« Point n’est besoin d’être un fanfaron ou un optimiste indécrottable, – ainsi s’exprimait Ribot au printemps de cette année, – pour percevoir la proximité de la paix. » Depuis cette déclaration, plus de quatre mois se sont passés, – et le Temps parle, dans un article, « de jubilé » de la paix française qui sera conclue en 1917. Nous avons donc l’annonce officieuse qu’une seconde campagne d’hiver est inévitable.

En Allemagne, la prolongation sans issue de la guerre n’a pas amené les fauteurs de guerre à se repentir, bien au contraire ! Les polémiques autour de la question des annexions indique clairement la peur des dirigeants de revenir à la maison, les mains vides. On pourrait traduire en français de nombreux articles officieux de la presse allemande – et vice-versa.

La puissance du pouvoir capitaliste a subjugué de larges cercles socialistes et a frappé de pessimisme stérile de nombreux éléments qui ne se posaient pas formellement en ennemis de classe. L’appareil qui devait exprimer la volonté de l’opposition, le Parti socialiste et les syndicats, est en pleine faillite. Mais cet écroulement prouve le profond processus intérieur des masses. A-t-on des exemples du passage des organisations ouvrières au social-patriotisme ? Nous n’en connaissons aucun. Le processus inverse s’observe de toutes parts. Suivant Hegel, il arrive un certain moment où se produit « la rupture de la graduation », – ce que nous appelons, catastrophe. Des ruptures catastrophiques se produiront inévitablement dans le processus se déroulant sous l’influence directe de l’événement le plus catastrophique, la guerre mondiale.

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