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Léon Trotsky 19160728 Deux télégrammes

Léon Trotsky : Deux télégrammes

[Naché Slovo, No. 173, 28 juillet 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Paris 1974, pp. 185-186]

Contrairement à ce qu’on attendait, Sturmer n’a pas convoqué les journalistes de la presse alliée et n’a donc rien dit pour leur remonter le moral. Bien plus, il n’a pas reçu les ambassadeurs des nations alliées, mais a chargé de ce soin son ami Nératov qui a fourni de vagues explications suivant lesquelles rien de particulier ne s’était passé. Briand et Sturmer ont échangé des télégrammes personnels. Après de belles formules de courtoisie, Sturmer écrit : « Je suis convaincu que nos deux nations marcheront ensemble vers le grand problème qui nous attend dans des circonstances si lourdes de signification. » En réponse, Briand communique que la France est prête à marcher avec ses braves Alliés jusqu’à la victoire finale. Nous n’avons aucun goût pour discuter des télégrammes de félicitations. Mais on ne peut pas ne pas remarquer que Sturmer parle de « grand problème » qu’il se prépare à affronter, sans définir les données de ce problème.

Mais à son sujet voici ce que nous lisons dans le Journal. Le correspondant de cet organe a été informé au ministère des Affaires Etrangères à Pétrograd que la fusion de ce ministère avec la Présidence du Conseil était dictée par des motifs impérieux. « De quels motifs voulez-vous parler ? », demande le correspondant, curieux comme tous ceux de son espèce. « Voilà, par exemple… à la signature de la paix, nous devrons régulariser avec nos Alliés les questions économiques qui touchent à la politique intérieure du pays; ce sera plus facile s’il n’y a qu’un seul ministère. » Admettons que ce soit utile à Sturmer s’il est destiné à signer le traité de paix. Mais s’il doit y avoir « unification » des ministères, que vient faire Makarov ? Et comment la question de la paix se trouve liée aux problèmes de « politique intérieure du pays » ? C’est facile à saisir si l’on se souvient de quelques faits qu’il convient de rapprocher les uns des autres.

Récemment Bark visita les pays alliés. Le but de sa visite, étant donné sa profession, ne soulevait aucune suspicion. Réussit-il ? Protopopov répondit : « Nous nous sommes croisés en chemin avec Bark, de telle sorte que nous ne pouvons rien dire de précis… » Mais Milioukov fut plus explicite : « En France et en Angleterre, on nous répondit qu’il y avait de l’argent tant qu’on le désirait… en Amérique. Mais pour en obtenir, il fallait faire des concessions aux Juifs. »

« Mais voyons, intervient Markov II, c’est une intrusion intolérable dans notre politique intérieure : nos Juifs sont à notre discrétion, qu’importe aux Alliés ! »

« Aucune intrusion. Simplement, en fonction de la question des milliards demandés, on voudrait un peu discuter de l’accord qui doit lier les deux politiques, intérieure et extérieure. »

« Accord ? mais d’accord ! s’écria-t-on aussitôt à Peterhof. » Et vlan ! Sturmer s’occupe de la politique intérieure et Makarov de la Justice. Au sujet des rapports entre les deux politiques, c’est tout juste si Makarov n’a pas repris sa fameuse phrase. Après une telle « unification », Sturmer, s’apprêtant à résoudre le « grand problème », peut avec une totale conviction télégraphier à Briand : « Que Dieu vous donne la santé ! »

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