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Léon Trotsky 19160729 Deux visages

Léon Trotsky : Deux visages

[Naché Slovo, No. 174, 29 juillet 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 135-137]

C’est par rapport aux Comités de l’industrie de guerre que nous avons le critère politique permettant de différencier les « Défenseurs » et les Internationalistes. Nous n’avons pas perdu de vue toutes les nuances du camp des socialistes appartenant à ces Comités. Mais nous avons dit : la résolution positive de la question de la participation à ces Comités et la lutte qui en découle contre les adversaires de cette participation auraient dû infailliblement assurer la prédominance des Sociaux-patriotes. Les nuances diverses ne jouent que le rôle « d’assesseurs ». Au contraire, une opposition bien tranchée aux Comités en tant qu’organes « d’entreprise nationale », de par la logique objective des choses, serait le moment critique dans le développement de la tactique internationale. Telle était notre estimation.

Selon Martov, nous fermons obstinément les yeux sur ce que « la discrimination entre les partisans de la participation et les boycotteurs ne coïncide pas en Russie avec la séparation entre Internationalistes et « Défenseurs ». Il s’avère cependant que nous ne sommes pas les seuls au monde avec notre critère. Nous lisons dans une circulaire (février) de la commission de Berne, à l’occasion de l’éveil du mouvement socialiste, les lignes suivantes : « A Pétrograd, plus de cent mille travailleurs se sont déclarés contre la participation aux Comités de guerre et se sont, par là, refusés à prendre sur eux la responsabilité de la guerre. » Ainsi Zimmerwald, en qualité de critère, a défini la conduite à tenir par rapport aux Comités et a reconnu ses boycotteurs et eux seulement. On pourrait supposer que Zimmerwald a été mal informé ou induit en erreur par Naché Slovo. Mais non, l’humanité légèrement étonnée a appris par le n° 4 des Izvestia que l’estimation citée plus haut au sujet des Comités de guerre pétersbourgeois fut faite sur la proposition du représentant de l’O.K., Martov.

Cela signifie-t-il que Martov a changé d’opinion sur ce point ? Non, pourquoi… A peine un mois plus tard, il s’indignait dans l’article « Ce qui est, est », de ce que Naché Slovo opposait les Zimmerwaldiens aux Gvosdiéviens et démontrait dans de belles envolées que Gvosdiév n’était pas Gvosdiév, car il est pour le « Salut » non pour la « Défense » de la nation. Pourquoi ne donne-t-on pas un recueil des articles de Martov au Secrétariat pour l’Étranger ? Ce serait vraiment un livre instructif !

Nous ne serions pas revenus sur ce thème, si nous n’avions pas rencontré un fait nouveau de l’espèce la plus regrettable.

Dans une brochure éditée par ses soins en allemand, le Secrétariat1, « désireux d’informer les camarades à l’étranger de la position d’une partie des Marxistes russes et polonais sur les questions de la politique social-démocrate », a publié un projet de manifeste, proposé à Kienthal par le représentant de l’O.K. « Dans ce but », comme il est écrit dans la préface, est exposée la traduction d’une partie de la déclaration des Menchéviks pétersbourgeois et moscovites.

Nous avons déjà familiarisé nos lecteurs avec la position des groupes de « Piter » et de Moscou, qui ont basé, comme on le sait, leur Internationalisme sur l’industrie de guerre.

La première partie de la déclaration présente un exposé plutôt embrouillé des conceptions « zimmerwaldiennes » sur la guerre et la « défense nationale ». On se demande ce que les camarades étrangers pourront retirer de neuf et d’instructif de ce galimatias. La seconde partie traite des conclusions que tirent les groupes précités. « La solution du conflit à l’échelle internationale… doit s’appuyer sur la structure politique du prolétariat dans les cadres nationaux. La conjoncture commande, en tant que tactique fondamentale du prolétariat, de ne pas attaquer la bourgeoisie libérale, principale partie du bloc impérialiste, mais de « coordonner politiquement les activités », c’est-à-dire de collaborer avec elle. Pour ce motif, il est recommandé d’accomplir cette besogne dans les Comités de guerre et de se grouper autour de Gvosdiév et de Tchérigorodtsév Il semble que si l’on voulait informer les camarades étrangers, il fallait, et de bonne foi, le faire dans la première partie du document, car c’est justement là qu’on parle de la position des Marxistes russes et polonais. Que fait le Secrétariat pour l’Étranger ? Il met en titre : « Extrait de la déclaration », pour assurer ses arrières et il rejette toute la partie essentielle du document (qu’il cache aux camarades étrangers) qui a trait aux principes de Zimmerwald.

Nous affirmons que pas un seul Internationaliste étranger, prenant connaissance de la première partie du document ne devine que les auteurs recommandent l’entrée dans les Comités de guerre afin de se rallier au bloc impérialiste. C’est fait justement pour « cacher » des camarades étrangers « que ce qui est, est », qu’est présenté à l’Internationale le visage de Zimmerwald. Du point de vue de l’information politique, il n’y a pas de nom pour qualifier de tels procédés.

Mais ceux-ci découlent de la politique officielle et officieuse du bloc d’ « Août » : ce dernier a deux visages, l’un bien visible internationaliste et zimmerwaldien, et l’autre, naturel, le gvosdiévien.

1 Kriegs- und Friedensprobleme der Arbeiterklasse. (Problèmes de paix et de guerre de la classe ouvrière.)

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