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Léon Trotsky 19160220 « Il y a encore une censure a Paris ! »

Léon Trotsky : « Il y a encore une censure a Paris ! »

[Naché Slovo, No. 43, 20 février 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Paris 1974 p. 123]

Quand le juge berlinois trancha le litige entre le roi de Prusse et le meunier, en faveur de ce dernier, Frédéric le Grand s’écria : « Il y a encore des juges à Berlin. » Quand la censure nous fit, hier, deux grandes coupures, nous nous exclamâmes : « Il y a encore une censure à Paris ! » A vrai dire, nous n’en avions jamais douté. En général, cette respectable institution était plutôt indulgente. Nous avions la permission d’écrire que le défunt tsar Alexandre III n’était pas d’obédience républicaine, que les fonctionnaires russes, « à en croire Novy Vreme », acceptent des pots de vin et que les Juifs en Russie ne sont pas les plus heureuses personnes de la terre. Rien d’étonnant à ce que Briand ait déclaré que la censure n’existe pas ! « Il n’y a qu’un régime spécial de presse ! » A l’imprimerie du journal, à la question quotidienne : « Les épreuves pour la censure sont-elles prêtes ? », nous devrions substituer : « Sont-elles prêtes pour le régime spécial ? »

Au retour des épreuves, nous cherchons les remarques faites par le « Régime spécial ». Parfois un mot est biffé, parfois une ligne entière, parfois cinq. C’est parfois très dommage, mais nous nous consolons en nous disant « le Régime est meilleur que la censure », et nous passons au train-train quotidien. Mais hier nous nous sommes souvenus que les hommes sont mortels : sous le Régime spécial comme sous la Censure. Le crayon bleu s’était promené partout, ne nous faisant pas grâce d’une seule phrase. Le Régime spécial a retiré ses favoris postiches et nous dit : « Me reconnaissez-vous ? Je suis là, moi, Anastasie ! ».1 Ainsi nous nous sommes rendus compte, et nos lecteurs avec nous, qu’il y a encore une censure à Paris !

1 La censure française est connue par le sobriquet de « Anastasie ».

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