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Léon Trotsky 19161006 Impérialisme et socialisme

Léon Trotsky : Impérialisme et socialisme

[Natchalo, No. 6, 16 et 21, 6, 18 et 24 octobre 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la IIe Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 181-188]

Le dernier discours de Scheidemann témoigne de ce dont on se doutait déjà sans crainte de démenti : à savoir que la majorité dirigeante de la Social-démocratie allemande ne se prépare pas à aiguiser ses couteaux contre la monarchie Hohenzollern. Au contraire, la pensée essentielle mise en avant par Scheidemann, pour démontrer les conséquences bénéfiques du 4 août pour le Socialisme, est la suivante : la collaboration de la Social-démocratie et du Pouvoir doit défaire les « préjugés » des masses à l’encontre du caractère « antipatriotique » du Parti socialiste et en même temps, augmenter sa force et son influence.

Il est vrai que l’estimation politique du 4 août et des perspectives qui en ont découlé, ne peut que frapper, par sa fausseté monstrueuse, tout connaisseur de l’histoire politique de l’Allemagne et des particularités de l’histoire de son Parti ouvrier. La politique de la Social-démocratie, qui a provoqué des accusations et des « préjugés » contre son « anti-gouvernementalisme » et son « anti-patriotisme », a rassemblé sous le drapeau du Parti plus de quatre millions d’électeurs, à une cadence telle que les organisations se plaignirent que l’accroissement de l’armée socialiste devançait le travail de propagande du Parti. Si la politique du 4 août devait ouvrir aux socialistes l’accès des couches patriotes de la population, elle a rejeté dans l’opposition près de la moitié des travailleurs enregistrés. Il ne peut y avoir deux opinions au sujet de cette politique qui, poursuivant l’encadrement problématique de ses nouveaux partisans, commence par démanteler les bases de son ancienne organisation édifiées par deux générations de socialistes. On ne peut douter que Haase et Käte Duncker aient dénoncé dans leurs discours le mensonge aveuglant de l’optimisme scheidemannien.

On se tromperait cependant si l’on pensait que Scheidemann lui-même ne se rend pas compte de la réalité. Mais il est le porteur ou l’esclave de tendances historiques déterminées, une des deux tendances fondamentales que la guerre a placées devant la classe laborieuse.

Si la Social-démocratie allemande s’était présentée au combat en tant que Parti de la révolution sociale – et serait ainsi devenue le Parti des masses prolétariennes – , sa pratique parlementaire, professionnelle, municipale, coopérative n’aurait pas dépassé, en fait, les limites d’un travail de réforme sur des bases capitalistes, tout en s’adaptant au développement capitaliste. La contradiction entre la pratique possibiliste et réformiste et la conception social-révolutionnaire aurait été transmise, de cette façon, à la Social-démocratie dans les conditions les meilleures pour son développement. L’Impérialisme a donné à cette contradiction le maximum de tension et d’âpreté.

L’Impérialisme est, historiquement, l’effort inévitable du Capitalisme « national » pour s’arracher aux cadres survivants du gouvernement national et dominer le monde. Comme la Social-démocratie s’adaptait au Capitalisme national, elle est obligée, par la logique même des choses, de l’accompagner sur la route de l’entreprise impérialiste, ou alors à refuser toute adaptation ultérieure au gouvernement capitaliste, lui déclarant une guerre implacable.

Placé par son développement même devant la nécessité d’une conflagration mondiale, le Moloch du pouvoir impérialiste s’est adressé à Scheidemann en ces termes : « Si tu veux continuer ton activité pour obtenir de meilleures lois sociales et des tarifs douaniers favorables, tu dois m’aider à assurer au Capitalisme national une position mondiale telle qu’elle puisse créer la base indispensable à ton propre travail de réforme ! » Le Réformisme socialiste s’est converti en Impérialisme socialiste. En se refusant d’user de méthodes révolutionnaires contre le Pouvoir capitaliste, la Social-démocratie officielle a dû reconnaître et approuver les méthodes impérialistes. De là l’idée du « Quatrième État », comme s’exprime Scheidemann. Les nouvelles « couches » dont il espère se rapprocher se trouvent non en bas, mais en haut. Scheidemann compte réussir au moyen d’une collaboration semi-oppositionnelle avec les forces dirigeantes de l’Allemagne impérialiste. La difficulté politique consiste dans la rééducation des masses. Ici Scheidemann se heurte, corps à corps, à l’opposition.

Dans les conditions indiquées, le problème posé à l’opposition ne peut se confondre avec la tactique traditionnelle de la Social-démocratie déchirée définitivement par ses contradictions internes. En d’autres termes, une opposition réelle ne doit pas tenter de sauver « l’honneur » de la conception révolutionnaire d’un Possibilisme réformateur totalement épuisé. L’Histoire pose ainsi la question : ou la capitulation devant la violence impérialiste, ou la mise en œuvre de la violence révolutionnaire. Le devoir de l’opposition se traduit concrètement par : lutte pour le pouvoir.

L’allié n’a pas toujours la même idée

Simultanément avec la publication dans l’Humanité d’un article reproduisant le discours de Haase, les journaux parisiens produisent le texte de la lettre envoyée par Liebknecht à ses juges. On ne peut traiter cette coïncidence de malheureuse, car elle donne l’occasion de comparer les deux principaux courants de l’opposition allemande. Haase refuse de voter les crédits de guerre et d’accorder sa confiance au chancelier. « En soutenant la politique des Partis bourgeois, déclara-t-il à la majorité, vous partagez leur responsabilité. » En dehors du chancelier et des Partis bourgeois, lui répondit-on, il y a la nation qui se trouve en péril. « Vous auriez dû déjà voter les crédits nécessaires à la défense du pays. » Dans ce dialogue, les points faibles sont des deux côtés. Haase a parfaitement raison quand il affirme que la participation du Parti à la défense signifie la condamnation de l’ancienne tactique de rejeter les crédits militaires. La philosophie aventuriste et incendiaire – « La maison brûle, il faut la sauver » – ne vaut rien. Pour éteindre le feu, il faut de la bonne volonté, mais aussi des seaux et des tuyaux d’arrosage. Donc, qui s’apprête à combattre un incendie doit se munir du matériel approprié. Autrement dit, cette politique, pour joindre les deux bouts (être cohérente), doit supposer le refus d’une opposition de principe au militarisme. C’est ce que réclame David. Si Scheidemann se refuse à le suivre, c’est qu’il se refuse à joindre les deux bouts.

D’un autre côté, Scheidemann et David ont raison, quand ils démontrent à Haase que l’alaire ne se limite pas à exprimer sa « confiance » ou sa « méfiance » au chancelier. La guerre signifie : danger pour l’Allemagne, et le Parti doit préciser ses positions. Mais ici Haase ne répond pas. Il définit sa conduite par rapport au chancelier, mais non par rapport à l’Allemagne; donc il évite de donner une réponse précise à la question de la Défense nationale. « Je ne veux pas prendre la responsabilité d’une défense telle que la conçoit le chancelier », voilà en réalité sa position. A première vue, on pourrait penser que c’est suffisant pour aujourd’hui. Liebknecht distingue, pour lui-même, « le devoir », en principe de la Défense nationale, Haase refuse la responsabilité de la mise en pratique, mais l’un comme l’autre refusent les crédits au Pouvoir. Comme les deux attitudes se rejoignent pratiquement, quelques camarades sont enclins à nier ou, du moins, à minimiser la différence entre les deux positions. Il est hors de doute que Haase, partisan de Kautsky, en votant contre les crédits, est plus près de Liebknecht que le partisan de Kautsky, Hoch et ses amis, qui se sont abstenus. (Nous ne parlons pas des représentants de la faune « oppositionnelle », qui votent les crédits, car cette espèce n’existe pas en Allemagne.) Il est indubitable que Haase, Ledebour et d’autres sont des alliés politiques de Liebknecht, d’autant plus que le groupe Haase-Ledebour est sorti de l’ancienne fraction et lui fait de l’opposition, alors que le groupe de Hoch demeure dans la fraction Scheidemann-David.

Mais l'allié n’a pas toujours la même conception. Accordant leurs activités avec celles du groupe Haase, pour autant que celles-ci sont dirigées contre les dirigeants et la majorité dans le Parti, Liebknecht et Rosa Luxembourg conservent, devant les masses, leur position indépendante et critiquent inlassablement les bases de la politique de leurs alliés ainsi que le caractère passif et attentiste de leur tactique. Les Internationalistes dévoilent au groupe Haase les points non défendus qu’attaque la majorité du Parti.

Vous ne vous fiez pas au chancelier et vous lui refusez les crédits ? Pour commencer, c’est très bien, mais ce n’est pas assez. A droite, on vous démontre qu’il ne s’agit pas du chancelier, mais de la défense de ce que nous avons appelé « l’Allemagne » : ses frontières, sa place sur le marché mondial (Ici la majorité se tait et passe sous silence le fait qu’il s’agit de la défense de la structure politico-sociale actuelle : la monarchie, le système policier, la domination capitaliste, etc.). Quelle est votre attitude devant cette question : défendre l’Allemagne ?

Cette question ne présente pas de signification « académique ». Le groupement socialiste, qui persiste à vouloir adopter l’ancienne tactique, c’est-à-dire la ligne nationale et possibiliste, ne peut se refuser de défendre les bases de cette tactique, donc la défense de l’Allemagne.

En votant contre les crédits militaires en temps de paix, la Social-démocratie, en tant que minorité, n’a jamais pu empêcher le gouvernement de développer l’appareil militaire. En ne votant pas les crédits, la Social-démocratie « risque de démoraliser » les ouvriers-soldats, donc d’affaiblir et de désorganiser la défense. La majorité de la fraction parlementaire s’est arrêtée devant cette perspective.

Vous voyez, dit David à Scheidemann, notre tactique purement oppositionnelle du temps de paix a démontré son inefficacité, et vous-même avez été obligé de la rejeter. Après la guerre, nous serons forcés de voter les crédits indispensables à la défense.

Non, répond Scheidemann, notre tactique actuelle comporte un caractère exclusif. Après la guerre, nous voterons contre les crédits militaires.

Mais, ce n’est pas logique !

C’est pratique; si nous refusons la tactique oppositionnelle, nous perdons notre influence sur les masses.

Par conséquent, vous vous apprêtez à repartir de zéro.

Je veux, au moins… essayer.

Dans ce dialogue exemplaire, David ressort devant nous comme un doctrinaire de l’opportunisme, alors que Scheidemann sauve son droit d’être un opportuniste dans l’opportunisme même.

Haase a tout à fait raison, quand, semblable à David, il exige que la tactique en temps de guerre concorde avec celle de la tactique en temps de paix : David exige l’égalité après la guerre; Haase, après la paix.

Qu’est-il arrivé ? s’écria Haase dans son discours. Qui vous a fait renoncer à l’opposition au chancelier ?

Rien de particulier, lui répondit-on ironiquement à droite, à condition, évidemment, de ne pas compter la guerre qui menace l’existence même de l’Empire.

L’extrait du discours que nous possédons ne dit pas comment Haase réagit à cette remarque. Il se tut, probablement. Que pouvait-il dire ? Il ne veut pas voir que la crise socialiste provient de la rupture de la tradition qui possédait deux extrémités : possibiliste et révolutionnaire. Aucune force au monde ne pourra plus les relier.

l’avenir pour les spartakistes1

David exige que la Social-démocratie fasse son travail réformateur à l’intérieur du pays grâce à son concours à la puissance militaire. Cette position, à laquelle on ne peut refuser une certaine logique, correspond au refus total du prolétariat à toute politique indépendante, y compris la réformatrice. Bismarck a reconnu que la législation sociale dépend de la crainte éprouvée par les classes dirigeantes devant la Social-démocratie. C’est un fait indubitable : tant que le Pouvoir se trouve entre les mains des classes possédantes, les réformes en faveur des masses exploitées ne sont que le fruit de leur peur devant les mouvements populaires. La position oppositionnelle et menaçante de la Social-démocratie, particulièrement dans les questions sensibles touchant le militarisme, était la condition indispensable pour obtenir des réformes. Si le gouvernement capitaliste des Junkers avait eu la garantie que la Social-démocratie, au moment du danger, ferait tomber les fusils des épaules, le prolétariat attendrait encore des réformes ! Mais comme justement maintenant, la Social-démocratie fournit ces garanties, David veut les faire inscrire au programme, transformant celui-ci en une lettre de cachet pour la classe ouvrière. Cela signifie : fin des réformes. Les motifs de celles-ci ne disparaîtront pas seulement chez les classes possédantes, mais, demain, l’homme gouvernemental, David, se déclarera obligé de reconnaître que les impératifs suprêmes de la défense nationale exigent des économies dans le domaine de la formation professionnelle et des assurances ouvrières. Si la pratique du réformisme a conduit au social-patriotisme, ce dernier réussit à lui couper l’herbe sous le pied.

L’impuissance du social-réformisme pose aux classes laborieuses la question des méthodes révolutionnaires de lutte.

La Social-démocratie allemande, appuyée par des millions de travailleurs – cela, la majorité l’a compris – ne peut continuer de limiter son refus d’aider le pouvoir par des manifestes d’une opposition platonique. Il faut choisir entre le soutien au gouvernement et une déclaration de guerre révolutionnaire. Le neutralisme, même celui « non-bienveillant » de Haase, n’est plus valable ni dans les circonstances intérieures, ni dans les circonstances extérieures.

Le Parti qui ne veut pas dépasser les frontières de l’opportunisme parlementaire, ne pourra se maintenir s’il refuse son aide au gouvernement national.

Pour rompre avec le Bloc nationalo-impérialiste et mettre la Défense nationale en péril (ce danger n’est pas ignoré de Liebknecht, de Rosa Luxembourg et de Käte Duncker, qui vient de prononcer un très beau discours), pour ne pas craindre d’affaiblir la force combattante du pays, il faut un Parti qui place les problèmes révolutionnaires au-dessus des considérations stratégiques et des intérêts mondiaux du Capitalisme national. En d’autres termes, seul un Parti social-révolutionnaire, luttant pour le pouvoir, peut s’opposer à la guerre, profiter des succès comme des revers, pour atteindre ses buts, autrement importants que la question des frontières de l’Allemagne. C’est la position de Liebknecht. En même temps que Haase refuse sa confiance au gouvernement, Liebknecht lui déclare la guerre. Il suffit de lire la lettre de Liebknecht au tribunal pour se rendre compte de la différence entre les deux tendances…

La formule de Rallia-Dugens est célèbre : « Je vote contre les crédits, mais si leur sort ne dépendait que de ma voix, je voterais pour. » Elle exprime sinon la pensée, du moins la conscience politique de la majorité des dirigeants politiques du « Centre » (Haase-Kautsky-Bernstein). Cette formule n’est nullement aussi caricaturale qu’on le pense à première vue. Un vote négatif est une manifestation de méfiance, mais ce n’est pas un acte de mobilisation des masses pour la lutte révolutionnaire. La principale accusation de Liebknecht lancée contre les politiciens du Centre était motivée par leur refus de répandre parmi les masses le slogan de la lutte ouverte. Aucun doute là-dessus – cette pensée a été souvent exprimée – , le Centre social-démocrate n’est qu’une étape sur le chemin politique du dégrisement et de l’éveil révolutionnaire des masses. La meilleure garantie du travail maximum des Internationalistes qui ne s’arrêtent pas trop longtemps à l’étape du Centre, est, suivant l’expression de Duncker – en accord avec la résolution de Stuttgart – , « qu’ils veulent profiter de la crise actuelle, pour anéantir l’État capitaliste ». Seule une stratégie décidée, ne s’arrêtant pas à des considérations secondaires de lutte intérieure, à la politique à double sens et à la passivité du « Centre », est capable de faire sonner l’heure de l’offensive révolutionnaire des masses contre le Pouvoir impérialiste. Malgré le petit nombre de leurs délégués à la Conférence2, nous regardons le groupe « Internationale » – les Spartakistes – , comme un facteur de première importance dans les destinées futures de l’Allemagne.

Pour la république ou pour le socialisme ?

Homo3 cueille chaque phrase tombée des lèvres des représentants de l’opposition allemande consacrée à la question de la responsabilité de la guerre, pour démontrer l’importance décisive de cette question sur la politique socialiste. Les « homunculi » (petits hommes) sociaux-patriotes russes font de même, mais comme des analphabètes, car ils ne connaissent ni le socialisme allemand, ni la langue allemande.

La question de « la responsabilité » joue, sans le moindre doute, un grand rôle dans la propagande tant de l’opposition pacifique que de l’opposition révolutionnaire. C’est inévitable quand on prend en considération que le travail politique exercé sur les masses par les classes dirigeantes et les sociaux-patriotes s’est fait sur la base de la question de la responsabilité.

Les classes possédantes se sont rendu compte que la guerre est faite non pour la défense du gouvernement national qui n’est pas de taille à développer les forces productives et le capital, mais pour accroître celui-ci au-delà des frontières. Pour recueillir l’adhésion des masses, il fallait leur présenter l’Allemagne comme la cible des mauvaises volontés de ses ennemis. L’idéalisme national des classes dirigeantes se nourrit des buts impérialistes. Au contraire, pour mobiliser l’idéalisme des classes exploitées, on ne pouvait agir autrement que par une argumentation défensive, présentant la cause de l’Allemagne comme « celle du bon droit et de la justice ».

Il est parfaitement naturel que l’opposition socialiste ait commencé par démontrer que le gouvernement allemand, une des principales pièces du mécanisme du monde capitaliste, porte une grande part de la responsabilité dans les événements actuels. Mais dévoiler seulement le caractère criminel de la politique mondiale des Hohenzollern et des Habsbourg ne suffit pas pour faire adopter par le prolétariat allemand l’obligation d’une politique anti-défensiste. S’il est vrai que la politique social-patriotique signifie la défense de la patrie, et non du pouvoir, il faut en conclure que la patrie conserve sa signification pour les travailleurs allemands et qu’ils la défendront (en dépit du fait de posséder un gouvernement hypocrite et sans foi), contrairement par exemple aux ouvriers russes.

Mais si la guerre a été provoquée uniquement par les Hohenzollern, les sociaux-patriotes de l’Entente en tirent leurs conclusions républicaines. Si les Hohenzollern sont la racine du mal, la garantie contre les guerres futures se trouvera dans la République. Cependant cet argument, qui ne rend pas responsable l’Allemagne des péchés de son empereur, se distingue par son extrême superficialité.

La destruction de la monarchie allemande est un problème purement révolutionnaire. Par quelles forces sera-t-elle réalisée ? Là-dessus, ni la question de la responsabilité, ni le slogan républicain ne donnent de réponse.

Une révolution démocratique en Allemagne est-elle envisageable ? Autrement dit : y a-t-il en Allemagne des classes bourgeoises intéressées par un changement en faveur de la République ? Quelle révolution est à l’ordre du jour ? Celle de la nation contre le régime politique ? Celle du prolétariat contre la monarchie impérialiste ?

Les philistins « évolutionnistes » (ils ne manquent pas parmi ceux qui se sont collé une étiquette marxiste) se représentent l’affaire comme suit : l’Allemagne doit accomplir sa révolution républicaine, frayant ainsi le chemin à la lutte prolétarienne pour la conquête du pouvoir. La République leur semble une étape politique « naturelle » dans le développement de la société capitaliste. Entre-temps, l’analyse matérialiste nous dit que la conquête du pouvoir par le prolétariat est la condition essentielle de l’établissement de la République allemande.

Jamais l’Europe des dix dernières années ne donna un tableau de la rapidité de différenciation des classes et de l’abaissement des classes intermédiaires, comme en Allemagne. La guerre parachève ce travail en anéantissant des centaines de milliers de petits capitalistes et de paysans. Si cette nouvelle armée peut fournir du matériel à la Révolution, il reste entendu qu’un mouvement révolutionnaire sérieux ne peut se développer qu’en tant que mouvement prolétarien. Si ce mouvement doit vaincre, il mettra au pouvoir le parti du prolétariat – ce parti nouveau formé des éléments de l’opposition actuelle et de la nouvelle génération révolutionnaire forgée dans le feu des combats contre les classes impérialistes et la monarchie. La question de la République est liée, pour le prolétariat allemand, à celle de la lutte pour le pouvoir. La République allemande ne peut exister que comme enveloppe politique de la dictature prolétarienne. Mais il est évident, qu’une fois au pouvoir, le Parti prolétarien sera rapidement obligé de réformer socialistiquement la société. Le problème historique du prolétariat s’exprime non par l’antithèse : Monarchie-République, mais par celle : Impérialisme-Socialisme.

La propagande républicano-bourgeoise peut se contenter de recherches sur la « responsabilité ». Le prolétariat doit avoir, lui, une représentation claire de la responsabilité du régime impérialiste.

1 Les Spartakistes : article entièrement biffé par la censure.

2 Les Spartakistes : Homo communique qu’il y avait 10 délégués de l’aile gauche. Il ne faut pas oublier : 1° qu’en certains endroits, les Internationalistes révolutionnaires boycottèrent la Conférence; 2° qu’il leur était, dans tous les sens, beaucoup plus difficile qu’à leurs ennemis de paraître aux réunions du Parti; 3° que beaucoup d’entre eux sont emprisonnés : Liebknecht, Mehring, Luxembourg, Meyer, etc.

3 Homo : le social-démocrate alsacien Grumbach, dans sa jeunesse partisan de Liebknecht, s’est rangé depuis le début de la guerre aux côtés du social-patriotisme français.

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