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Léon Trotsky 19160615 La clef de la situation

Léon Trotsky : La clef de la situation

[Naché Slovo, No. 138, 15 juin 1916. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la II” Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Paris 1974, pp. 133-134]

Bethmann-Hollweg s’est plaint à la dernière session du Reichstag de ce que les nations belligérantes ne veulent pas jouer la « carte de guerre » présentée au cours des vingt-deux mois de guerre. Tout changement de cette carte, menaça-t-il, se fera au détriment des puissances de l’Entente. Le chancelier a des raisons aussi fortes que celles de ses adversaires de désirer la fin de la guerre. Sans renoncer à des « annexions raisonnables », il attaqua les « annexionnistes enragés » (ce qui paraît surprenant en cette époque de « paix complète ») et souleva l’enthousiasme, quelque peu battu en brèche par les événements, des sociaux-patriotes. Le militarisme allemand est fort, mais les appétits des impérialistes allemands sont encore plus forts. En ce qui concerne les appétits de ce côté du front, ils n’attendent que le premier succès pour se manifester.

Nous avons déjà vu qu’il est indispensable aux belligérants de passer à la guerre de mouvement. Ces derniers mois, nous fûmes témoins de « mouvements » qui ne firent que confirmer le dicton : « Plus ça change, plus ça reste la même chose. » Aux victoires turques en Mésopotamie, répondirent celles des Russes en Arménie. Trébizonde contre Kut-El-Ahmar ! L’avance autrichienne sur le front italien dût stopper sans apporter de grands changements à la carte des fronts. Pour compléter le parallélisme, citons le succès de l’offensive russe en Galicie. Que les optimistes croient à son développement victorieux. Nous n’appartenons pas à ces derniers. Qu’il y ait indécision et balance des pertes au Jütland, cela ne changera pas le rapport des forces en présence des flottes allemande et anglaise. Pour finir, les combats incessants à Verdun sont la preuve stratégique monstrueuse de l’impasse actuelle. Plus ça change, plus ça reste la même chose. Prenant conscience de cette épouvantable situation sans issue, les dirigeants européens jettent à nouveau leurs regards vers l’Amérique. L’entrée en guerre des U.S.A. donnerait au groupe favorisé la supériorité décisive. Mais Wilson ne se décide pas. Le Capitalisme américain se porte trop bien pour qu’il y ait une raison de base à une entrée en guerre prématurée et dangereuse. Roosevelt, ce lourdaud, ce Tartarin d’outre-atlantique, a levé le drapeau en faveur d’une intervention immédiate en faveur des Alliés, mais il en a été cruellement puni par son propre parti qui a stigmatisé « son idéalisme aventurier ». Le taciturne et prudent Juge suprême, House, mit son rival sur les deux épaules, sans aucun effort. House n’est ni germanophile ni francophile, il n’est ni pour la paix ni pour la guerre, il trouve que tout va très bien ainsi. L’Europe s’appauvrit, l’Amérique s’enrichit. Que vienne Wilson, que soit choisi House, la situation est inchangée. Aussi longtemps que la bourgeoisie américaine pourra se chauffer les mains au feu de camp européen, elle ne changera pas sa position.

« La clef de la situation en Amérique ? »

Celle-ci considère que la meilleure clef est la continuation du chaos sanglant et sans issue de l’Europe.

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