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Léon Trotsky 19170316 La révolution en Russie

Léon Trotsky : La révolution en Russie

[Novy Mir, No. 937, 16 mars 1917. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la IIe Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 285-286]

Ce qui se passe actuellement en Russie entrera dans son Histoire comme un de ses plus grands événements. Nos enfants, nos petits-fils et arrière-petits-fils en parleront comme du début d’une nouvelle ère dans l’Histoire de l’Humanité. Le prolétariat russe s’est soulevé contre le plus criminel des régimes, la négation même du gouvernement. Le peuple de Pétrograd s’est soulevé contre la plus honteuse et la plus sanglante des guerres. La garnison de la capitale a arboré le drapeau rouge de la révolte et de la liberté. Les ministres du tsar sont arrêtés. Les ministres du Romanov, les maîtres de l’ancienne Russie, les organisateurs de l’oppression pan-russe, sont enfermés dans les prisons dont les portes ne s’ouvraient, auparavant, que pour les combattants prolétariens. La puissante avalanche de la révolution est en plein élan. Aucune force humaine ne pourra l’arrêter.

Suivant un communiqué télégraphique, un Gouvernement Provisoire1 est au pouvoir, constitué par des représentants de la majorité de la Douma sous la présidence de Rodzianko. Ce Gouvernement Provisoire – comité exécutif de la bourgeoisie libérale – , ne participe pas à la révolution, ne l’a pas appelée et ne la dirige pas. Rodzianko et Milioukov ont été portés au pouvoir par la première vague du ressac révolutionnaire. Ils craignent par-dessus tout d’être engloutis par elle. Occupant les places des ministres emprisonnés, les guides de la bourgeoisie libérale sont prêts à considérer la révolution comme terminée. Mais celle-ci n’a fait que commencer. Ses forces ne sont pas celles qu’ont choisies Rodzianko et Milioukov. Et la révolution ne trouvera pas ses chefs dans le comité de la Douma du 3 juin.

Les mères affamées d’enfants affamés ont tendu leurs mains épuisées vers les fenêtres des palais, et les malédictions de ces femmes ont retenti comme le tocsin de la révolution. C’est ici le commencement des événements. Les ouvriers de Pétrograd ont donné le signal d’alarme. Des centaines de milliers de travailleurs qui savent construire des barricades, se sont répandus dans les rues. Voilà la force de la révolution. La grève générale a secoué le puissant organisme de la capitale, a paralysé le Pouvoir et a chassé le tsar dans un de ses repaires dorés. Voilà le chemin de la révolution. La garnison a répondu à l’appel des masses insurgées et a rendu possible la première conquête du peuple. L’armée révolutionnaire, c’est elle qui prononcera les paroles décisives dans les événements de la révolution.

Nos informations sont incomplètes. II y a eu lutte. Les ministres du tsar ne se sont pas rendus sans combat. Des télégrammes de Suède nous parlent de ponts sautés, de heurts dans les rues, de soulèvements dans les villes de province. La bourgeoisie a pris le pouvoir pour « rétablir l’ordre ». Ce sont ses propres paroles. Le premier manifeste du Gouvernement Provisoire invite les citoyens au calme et au retour aux occupations pacifiques. Comme si le travail épurateur du peuple était terminé, comme si le balai de fer de la révolution avait enlevé toutes les ordures que les siècles ont accumulées autour du trône déshonoré de la dynastie Romanov.

Non, Rodzianko et Milioukov ont parlé trop tôt de paix, et ce n’est pas demain que le calme régnera sur la Russie frémissante. Degré par degré, la nation se redressera – tous les opprimés, les spoliés, les humiliés – , sur l’étendue illimitée de la geôle des peuples. Les événements de Pétrograd, ce n’est qu’un début !

A la tête des masses populaires, le prolétariat accomplit son devoir historique : il chassera la monarchie et la réaction de leurs cachettes et tendra la main aux travailleurs d’Allemagne et d’Europe. Car il faut liquider non seulement le Tsarisme, mais aussi la guerre. Déjà la deuxième vague révolutionnaire roule au-dessus de la tête de Rodzianko et Milioukov, occupés du maintien de l’ordre et d’accord avec la monarchie. La révolution tirera de son sein le pouvoir, l’organe révolutionnaire du peuple marchant à la victoire. Et les grandes batailles, les grands sacrifices sont encore devant nous. C’est seulement après que nous aurons la victoire totale, la victoire triomphante.

Les derniers télégrammes, en provenance de Londres, annoncent que le tsar Nicolas veut abdiquer en faveur de son fils. La réaction et le libéralisme veulent ainsi sauver la monarchie et la dynastie. Trop tard, il est trop tard ! Les crimes furent trop grands, les souffrances furent trop monstrueuses, et l’explosion de la fureur populaire est trop grande.

Il est trop tard, valets de la monarchie. Il est trop tard, libéraux qui voulez éteindre le feu. L’avalanche révolutionnaire est en plein élan. Aucune force humaine ne pourra l’arrêter !


1 Il s’agit ici du Comité de la Douma avec Rodzianko à sa tête; et du gouvernement Goutchkov-Milioukov; ces désignations ont été faites d’après des télégrammes américains erronés.

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