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Léon Trotsky 19170317 Sous le drapeau de la Commune

Léon Trotsky : Sous le drapeau de la Commune

[Novy Mir, No. 938, 17 mars 1917. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la IIe Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 278-280]

Dans l’Histoire, la guerre et la révolution se suivent souvent. En temps ordinaire, les masses laborieuses subissent au jour le jour leur travail de galériens, se soumettant à la force puissante de l’habitude. Aucun surveillant, aucune police, aucun geôlier, aucun bourreau ne seraient capables de tenir les masses dans la soumission sans l’habitude, ce fidèle serviteur du Capitalisme.

La guerre, qui torture et massacre les masses, est dangereuse pour les dirigeants car, d’un seul coup, elle fait sortir les masses de l’état habituel, réveille par son tonnerre les plus arriérés et les oblige à regarder autour d’eux. En poussant des millions d’hommes au feu, les dirigeants doivent remplacer la force de l’habitude par les promesses et les mensonges. La bourgeoisie embellit la guerre par des traits qui sont chers au cœur généreux des masses populaires : la guerre pour « la Liberté », « pour la Justice », pour « une Vie meilleure ». La guerre n’apporte à ces masses que de nouvelles plaies, que de nouvelles chaînes. C’est pourquoi la tension des masses explose souvent contre les dirigeants : la Guerre engendre la Révolution.

Il en fut ainsi, il y a douze ans, lors de la guerre russo-japonaise : elle porta le mécontentement du peuple au paroxysme et conduisit à la Révolution de 1905.

Il en fut ainsi, il y a douze ans, lors de la guerre russo-japonaise : déclencha la révolte des travailleurs et la Commune de Paris.

Les ouvriers parisiens furent armés par le gouvernement bourgeois pour défendre Paris contre les armées allemandes. Mais la bourgeoisie française craignait plus ses propres prolétaires que les armées des Hohenzollern. Après la capitulation de Paris, le Pouvoir républicain tenta de désarmer les ouvriers. Mais la guerre avait fait pénétrer en eux un sentiment de révolte. Ils ne voulaient plus retourner dans leurs ateliers aux mêmes conditions. Les prolétaires parisiens refusèrent de se laisser désarmer. Des heurts eurent lieu entre les travailleurs et les régiments gouvernementaux. Les ouvriers furent victorieux, devinrent maîtres de Paris et établirent, sous le nom de Commune, le pouvoir prolétarien. Les derniers défenseurs de la Commune succombèrent, le 28 mai, après une résistance héroïque. Des semaines et des mois d’une répression sanglante s’ouvrirent. Mais, en dépit de la brièveté de son règne, la Commune reste le plus grand événement dans l’histoire de la lutte prolétarienne. Grâce à la tentative des Parisiens, le prolétariat mondial se rendit compte de ce qu’était la révolution prolétarienne, quels étaient ses buts et sa voie.

La Commune débuta par accepter des étrangers au sein de son gouvernement de travailleurs. Elle déclara : « Le drapeau de la Commune est le drapeau de la République mondiale. » Elle écarta toute religion du gouvernement et des écoles, abolit la peine de mort, renversa la colonne Vendôme – ce monument chauvin – , donna tous les postes et responsabilités aux serviteurs du peuple, leur attribuant une rémunération égale à la journée de travail d’un ouvrier.

Elle nationalisa les usines abandonnées par les capitalistes épouvantés pour en organiser la production pour le compte de tous. C’était le premier pas vers la planification de l’économie socialiste.

La Commune ne réalisa pas ses desseins; elle fut écrasée avant. La bourgeoisie française, avec l’appui de son « ennemi de la nation », Bismarck, devenu aussitôt son allié de classe, noya dans le sang la révolte de son ennemi authentique, la classe ouvrière. Les plans de la Commune ne virent pas le jour. Mais ils ont pénétré le cœur des meilleurs fils du prolétariat et sont devenus les préceptes révolutionnaires de notre lutte.

Et aujourd’hui, 18 mars 1917, la figure de la Commune est plus vivante que jamais; après un long intervalle, nous sommes rentrés de nouveau dans une époque de grands combats révolutionnaires. La guerre mondiale a arraché des millions de « tâcherons » à leurs habitudes de travail et à leur vie végétative. Ce fut ainsi en Europe jusqu’à maintenant, ce sera ainsi, demain, en Amérique. Jamais on n’a tant promis aux travailleurs, jamais on ne leur a dépeint tant de futurs radieux, jamais on ne leur a tant menti. Jamais aussi, les classes dirigeantes n’ont exigé, au nom de ce mensonge, que l’on baptise « Défense de la Patrie », tant de sang de la part du peuple. Jamais les classes laborieuses ne furent plus trompées, vendues et exploitées. Dans les tranchées pleines de sang et de saleté, dans les villes et les villages affamés, des millions de cœurs sont en proie au désespoir et à la rage. Ces sentiments, en se mêlant à la pensée socialiste, se convertissent en enthousiasme révolutionnaire. Demain, sa flamme éclatera parmi les immenses soulèvements populaires. Déjà le prolétariat russe a pris le chemin de la révolution, et sa poussée renverse les fondements de la plus honteuse des tyrannies. La Révolution en Russie n’est, cependant, que le prélude à la révolte prolétarienne dans toute l’Europe et dans le monde entier.

Souvenez-vous de la Commune, disons-nous, nous autres socialistes, aux travailleurs révoltés. La bourgeoisie vous a armés contre l’ennemi extérieur. Refusez de rendre vos armes, comme l’ont fait les ouvriers parisiens en 1871. Dirigez ces armes, comme Liebknecht vous l’a crié, contre votre grand ennemi, le Capitalisme. Arrachez de ses mains la machine gouvernementale et, de cette arme de l’oppression bourgeoise, faites-en l’appareil de l’auto-direction prolétarienne. Vous êtes plus forts, incomparablement plus forts que ne l’étaient vos ancêtres de la Commune. Jetez les parasites à bas de leurs trônes. Prenez sous votre propre direction les usines, les mines, les terres. Fraternité dans le travail, égalité dans la répartition de ses fruits !

Le drapeau de la Commune est le drapeau de la République mondiale du Travail !

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