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Léon Trotsky 19170313 Sur le seuil de la révolution

Léon Trotsky : Sur le seuil de la révolution

[Novy Mir, No. 904, 13 mars 1917. Léon Trotsky : La Guerre et la Révolution. Le naufrage de la IIe Internationale. Les débuts de la IIIe Internationale. Tome deuxième. Paris 1974, pp. 283-285]

Les rues de Pétrograd parlent, à nouveau, le langage de 1905. Comme au temps de la guerre russo-japonaise, les travailleurs réclament du pain, la paix et la liberté. Comme en 1905, les trams ne marchent pas et les journaux ne sortent pas. Le gouvernement envoie ses cosaques. Et de nouveau on ne voit dans les rues de la capitale que ces deux forces : les ouvriers révolutionnaires et les troupes tsaristes.

Le mouvement a été provoqué par le manque de pain. Ce n’est pas, évidemment, un motif fortuit. Dans tous les pays belligérants, les restrictions en produits alimentaires sont la cause du mécontentement des masses. Toute la démence de la guerre s’éclaire de ce fait brutal : on ne produit pas ce qui est indispensable à la vie, parce qu’il faut fabriquer des engins de mort.

Les explications fournies par les agences télégraphiques anglo-russes, tentant de minimiser l’affaire au niveau d’un simple manque de pain momentané et de chutes de neige, soulignent la stupidité de cette politique d’autruche qui se cache la tête sous le sable quand le danger s’approche. Ce n’est pas pour de simples chutes de neige, qui, parfois, causent des difficultés d’approvisionnement, que les travailleurs descendent dans la rue pour affronter les cosaques.

Beaucoup de gens ont la mémoire courte et nombre d’entre eux – même dans notre propre cercle – ont oublié que la Russie a été surprise par la guerre en pleine fermentation révolutionnaire. Après la pesante répression de 1908-1911, les prolétaires ont pansé leurs blessures, et la fusillade des grévistes sur la Léna a réveillé l’énergie révolutionnaire des masses. Le ressac des grèves a commencé. Et pendant l’année précédant la guerre, la vague gréviste a atteint l’ampleur connue seulement en 1905. En été 1914, quand Poincaré visita le tsar (sûrement pour se mettre d’accord sur le moyen de sauver les petites nations), le Président français a pu voir de ses propres yeux, dans les rues de la capitale de son ami, les premières barricades de la deuxième Révolution russe.

La guerre a brisé ce ressac révolutionnaire. Il se répéta ce qui se passa lors de la guerre russo-japonaise. Après les grèves tumultueuses de 1903, nous observâmes pendant la première année de la guerre, un apaisement politique presque total : il fallut douze mois aux travailleurs pétersbourgeois pour se remettre et descendre dans la rue. Cela eut lieu le 9 janvier 1905, quand commença, pour ainsi dire, notre première révolution.

La guerre actuelle est autrement grandiose que le conflit russo-japonais. En mobilisant des millions de travailleurs, le Tsarisme n’a pas seulement brisé les rangs des masses prolétariennes, mais il a posé aux couches les plus évoluées des questions de la plus haute importance. Pourquoi la guerre ? Le prolétariat doit-il assumer la « Défense de la Patrie » ? Quelle doit être la tactique de la classe ouvrière pendant la guerre ? Le Tsarisme et ses Alliés, les sphères nobles et capitalistes ont dévoilé pendant la guerre leur vraie nature : une nature de criminels rapaces aveuglés par une avidité sans limites et paralysés par une incompétence fondamentale. Les appétits des classes dirigeantes ont cru à mesure que se découvrait leur incapacité à résoudre les problèmes de production créés par la guerre. La misère des masses s’est accrue – la misère inévitable de la guerre – , multipliée par la criminelle incapacité du Tsarisme « raspoutinien ».

Dans les couches les plus arriérées qui n’avaient jamais peut-être entendu parler d’agitation révolutionnaire, les événements ont fait pénétrer un profond sentiment de haine contre les classes dirigeantes. En même temps la couche évoluée des travailleurs a commencé par élaborer un processus de critique des événements. Le prolétariat socialiste s’est remis du coup asséné par la faillite de l’Internationale et a compris que l’ère nouvelle exigeait le durcissement de la lutte. Ce qui se déroule à Pétrograd et à Moscou est le résultat de ce travail interne de préparation.

Le pouvoir est désorganisé, compromis et déchiré. L’armée est disloquée. Les classes dirigeantes sont mécontentes, ne croient plus et ont peur. Le prolétariat se forge au feu des événements. Tout nous donne le droit de dire que nous sommes les témoins du début de la Deuxième Révolution Russe. Nous espérons que nombre d’entre nous y prendront part.

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