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Léon Trotsky 19281110 Lettre à Kh. G. Rakovsky

Léon Trotsky : Lettre à Kh. G. Rakovsky

(10 novembre 1928)

[Source Léon Trotsky, Œuvres 2e série, volume 2, juillet 1928 à février 1929. Institut Léon Trotsky, Paris 1989, pp. 376-378, titre : « La Crise au Sommet », voir des annotations là-bas]

Cher Ami,

Je ne t’ai pas écrit depuis longtemps pour l’unique raison que je ne savais pas ton adresse, persuadé que tu avais déjà quitté Astrakhan, Mais je vois que l’affaire ne s’est pas passée ainsi : il se produit toujours une infâmie nouvelle que l’on n’attend pas, bien que toi et moi, semble-t-il, connaissions suffisamment le maître de ces affaires, qui en porte la responsabilité directe. La réponse faite par le suppléant de Kaganovitch, Samsonov, à Aleksandra Georgievna, pour justifier l’interdiction de te laisser te soigner à Kislovodsk, est vraiment classique : « C’est le congrès de l’Internationale qui en a décidé ainsi; vous avez certainement lu sa résolution.» Je ne comprends pas bien ce côté formel de l’affaire. Puisque tu as suivi la ligne du C.C., pourquoi renvoient-ils à Iagoda et Trilisser? D’ailleurs, Balabolkine affirme à droite et à gauche que Iagoda et Trilisser appartiennent à sa fraction.

J’ai exactement les mêmes accès de malaria que toi. Les principaux symptômes sont les mêmes, avec en plus de violents maux de tête comme des suites de coups. J’ai passé de très mauvais mois de juillet et août. La quinine m’a fait du bien. Septembre a été beaucoup mieux. En octobre, les accès de malaria ont repris. Nouvelle cure de quinine. Il y a eu une amélioration. Je suis même allé pendant dix jours à la chasse. Dans cette période et les premiers jours après mon retour, je me suis senti très bien. Mais trois jours après, cela recommençait, la journée d’hier a été très pénible. Je prends à nouveau de la quinine. Natalia Ivanovna a aussi de forts accès de malaria, qui s’accompagnent en outre de poussées de fièvre. On t’a sans doute raconté ce que Iaroslavsky expliquait pendant une réunion : nous aurions déjà décidé de le transférer dans le Caucase, puis aurions changé d’avis sous la pression de protestations et d’interventions.

J’avais reçu la copie de ta lettre au c[amarade] Valentinov et j’avais voulu alors te dire par télégramme mon enthousiasme pour cette lettre, mais je n’ai pas su à quelle adresse l’envoyer. Elle a été copiée en un grand nombre d’exemplaires et envoyée à une série de camarades. Il est malheureux que ton travail de bureau te prenne beaucoup de temps.

La lutte entre les droitiers s’est intensifiée et a pris un tour conspiratif. Une vraie mise en scène de Meyerhold. Tous, à l’unanimité et sans exception, pleinement et sans réserve, luttent contre un scélérat, un certain I.K. (droitier), dont personne toutefois ne connaît l’adresse. Ils luttent contre la déviation de droite avec autant et même plus de fermeté que contre l’Opposition. C’est tout au moins ce qu’indiquent les déclarations quotidiennes de la Pravda, dont le rédacteur est le chef du VIe congrès, Kolia Balabolkine. C’est époustouflant. Cependant, derrière la mascarade constructiviste, se cache un processus très grave. Il y a tout lieu de penser que cette fois, l’affaire ira beaucoup plus loin que ne le voudraient les maîtres de cette construction théâtrale. J’y reviendrai avec plus de précisions ces jours prochains. Alors qu’on annonce officiellement une parfaite unanimité au bureau politique, il est surprenant que le Kolia déjà mentionné informe en secret le monde entier que les divergences avec l’Opposition n’étaient rien comparées à celles qui séparent la troïka du maître ; il ajoute qu’ils n’ouvrent pas la discussion car celle-ci prendrait tout de suite un caractère « meurtrier » : « Nous (Kolia et ses partisans) serions obligés de dire : “ Voilà un homme qui a conduit le pays à la famine ” ; et il répondrait : “ Ce sont les défenseurs des koulaks et des nepmen. ” » Tout cela est donné mot à mot, on est en tout cas tout à fait digne de foi. A Moscou, on parle ouvertement des intrigues de Kolia avec les deux mousquetaires. Ces derniers cependant temporisent, attendant pour cela les encouragements du maître.

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