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Léon Trotsky 19290424 Lettre à Osaka Manichi

Léon Trotsky : Lettre à Osaka Manichi

(24 avril 1929)

[Source Léon Trotsky, Œuvres 2e série, volume 3, février 1929 à mai 1929. Institut Léon Trotsky, Paris 1989, pp. 174-176, titre : « Réponse à des questions », voir des annotations là-bas]

1. Vous m’interrogez sur ma santé. Elle est plus ou moins satisfaisante, avec des périodes où elle empire. J’ai besoin d’une cure.

2. Oui, je considère que l’antagonisme fondamental est celui entre Amérique et Angleterre. Sous cet angle, les relations entre États-Unis et Japon n’ont qu’une signification secondaire. En d’autres termes, les États-Unis, dans chaque période donnée, détermineront leurs relations avec le Japon en fonction de leurs relations avec la Grande-Bretagne. Cela signifie dans l’ensemble, si vous voulez, une atténuation des contradictions entre Washington et Tokyo Mais cela n’exclut pas que se produisent certaines périodes de tension de nouveau en fonction des rapports entre Tokyo et Londres. Est-ce que je considère que la guerre est inévitable ? Sans faire des paris absurdes sur les délais, je dois dire que jamais dans l’histoire de l’humanité le monde ne s’est précipité avec une telle obstination aveugle vers la catastrophe militaire que maintenant, dix ans après la Grande Guerre, à l’époque de la S.D.N., du pacte Kellogg, etc. Ce n’est là ni une hypothèse ni une supposition, mais bien une conviction ou plutôt une certitude inébranlable.

3. Les racontars sur le fait que je serais disposé à créer une IVe Internationale sont de répugnantes ordures. L’Internationale social-démocrate et l’Internationale communiste ont toutes deux de profondes racines historiques. Il n’est nul besoin d’une intermédiaire (deux et demie) ou d’une supplémentaire (quatrième). Il n’y a pas place pour elles. Le cours stalinien de l’I.C. est un cours vers l’Internationale 2½. Le centrisme se situe entre la social-démocratie et le communisme. Mais le centrisme est instable, même quand il repose sur les ressources d’un appareil d’État Il sera broyé entre les meules social-démocrate et communiste. Après des luttes, des frictions, des scissions, il restera deux Internationales, la social-démocrate et la communiste ; j’ai participé à la fondation de cette dernière, je combats pour ses traditions et son avenir et je n’ai pas l’intention de la laisser à quiconque.

4. Vous demandez pourquoi un certain nombre d’États m’ont fermé leurs portes. Probablement pour aider les marxistes à expliquer plus clairement aux masses ouvrières ce qu’est la démocratie capitaliste. Le gouvernement norvégien a fondé sa décision sur des considérations concernant ma sécurité. Je ne trouve pas l’argument convaincant. Je suis une personne privée et ma sécurité est mon affaire. J’ai des ennemis, j’ai aussi des amis. Mon installation, en Norvège ou ailleurs, ne placerait nullement la responsabilité de ma sauvegarde sur le gouvernement de ce pays. Le seul gouvernement connaissant parfaitement la situation, qui a délibérément assumé une telle responsabilité, c’est le gouvernement de la fraction de Staline, qui m’a expulsé d’U.R.S.S.

5. Vous référant à ce que j’ai dit, à savoir que c’est en vain que ses ennemis attendent un renversement rapide du régime soviétique, vous me demandez si j’admets « la possibilité d’un renversement du régime soviétique, sinon bientôt, du moins dans pas trop longtemps ». Je considère qu’avec une politique juste on peut assurer la stabilité de ce régime jusqu’à la révolution socialiste inévitable en Europe et dans le monde, après laquelle le régime soviétique va peu à peu laisser la place à une société communiste sans État Mais l’histoire se fait à travers les luttes de classes. Cela signifie qu’il n’existe ni positions désespérées ni positions totalement assurées. Dans la mécanique de la lutte, un rôle énorme est joué par la direction. Si la ligne des cinq dernières années devait continuer, la dictature serait tôt ou tard sapée. Mais l’appareil stalinien, sous le fouet de l’Opposition, fait des bonds d’un côté à l’autre et permet ainsi au parti de réfléchir et de comparer. Jamais encore, la politique en U.R.S.S n’a, dans une aussi large mesure, tourné autour des idées de l’Opposition que maintenant, alors que les dirigeants de l’Opposition sont en prison ou en exil.

6. Sur la question de ma collaboration à la presse bourgeoise, j’ai donné les explications nécessaires dans ma lettre aux ouvriers de la république soviétique que vous trouverez ci- incluse.

7. Lutterais-je contre la droite ? Bien sûr. Staline combat la Droite sous le fouet de l’Opposition. Il mène ce combat comme un centriste, obligé d’assurer, par des scissions sur sa droite et sa gauche, sa position médiane contre la ligne prolétarienne et contre les opportunistes ouverts. Le combat en zigzags de Staline ne fait en dernière analyse que renforcer la Droite. Le parti ne peut être protégé des chocs et des scissions que sur une position révolutionnaire.

8. Faisant référence à la stabilisation du capitalisme, vous demandez où sont les perspectives de révolution mondiale ? Ces perspectives naissent de cette même stabilisation. Le capitalisme des États-Unis est le facteur le plus révolutionnaire du développement mondial. Nous verrons de grandes perturbations du marché mondial, de profonds conflits économiques, des crises de mévente, de chômage et du choc qu’il produit. Ajoutons-y la perspective de heurts militaires inévitables. J’aurais de beaucoup préféré une transformation pacifique de la société, sans les coûts énormes d’une révolution, mais en voyant autour de moi tout ce qui se passe, je ne peux me condamner moi-même à être aveugle. Et seul un aveuglé sans espoir peut croire en une transformation pacifique.

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