Léon
Trotsky : Lettre à Alfonso Leonetti
[Léon
Trotsky - Pierre
Naville - Denise Naville - Jean Van Heijenoort : Correspondance
1929-1939,
Paris 1989, pp 50-52]
[Début
mars 1931]
Cher
camarade Torino [A. Leonetti].
Je
vous remercie bien pour votre lettre amicale concernant notre «
catastrophe » philistine. La situation est bien ennuyante, mais
pendant quelques mois elle pourrait être rétablie, je l’espère,
sauf quelques lacunes irréparables. Même la situation de la Ligue,
bien compromise par la politique du bloc Naville-Gourget, peut être
rétablie avec de la bonne volonté.
Malheureusement
Naville n’y met que de la mauvaise. Sa dernière lettre me démontre
qu’il n’a rien appris. Au contraire : il est plus souvariniste,
plus anti-marxiste que jamais. Je ne lui réponds pas pour l’instant
pour ne pas être obligé de lui dire quelques vérités trop amères
parce que malgré tout je ne veux pas perdre l’espoir...
Dans
vos dernières lettres vous attirez mon attention sur les fautes de
La
Vérité.
Il y en a des réelles, il y en a d’exagérées, il y en a
d’imaginaires. Je serais tout à fait prêt d’analyser avec vous
chaque faute de La
Vérité.
Mais ce qui me fait cette analyse bien difficile, c’est qu’elle
ne pourrait être virtuelle que sur le terrain commun du marxisme.
J’entends en premier lieu la question syndicale. Or, Gourget s’est
avéré comme trade-unioniste et non-marxiste, et Naville n’est que
son aide-de-camp journalistique. J’ai lu le procès-verbal de la
séance de la CE avec Gourget et Cie, cela m’aurait suffi si je ne
savais même pas tout ce qui avait précédé et si je n’avais pas
essayé de gagner Gourget et Naville pour la conception marxiste
pendant plus d’une année. Tolérer le gourgetisme signifierait la
gangrène s’emparer de la Ligue. Croyez-vous qu’on rompe avec
Trotsky pour fraterniser avec les trade-unionistes français ? Ah,
non !
Le
devoir élémentaire
des
marxistes dans la Ligue et dans l’Opposition Internationale est de
dire à Gourget que sa théorie comme sa pratique équivalent à la
trahison au marxisme et qu’un abîme le sépare de nous. C’est
peut-être encore le dernier moyen de sauver Gourget, lui-même et
son groupe. Mais c’est la préoccupation secondaire. Il s’agit
avant tout de préserver notre politique de la dégénérescence dont
la forme la plus dangereuse en France est la « bonhomie »
syndicalisante. Le SI devrait se prononcer unanimement là-dessus.
Tout ce que vous m’indiquez comme fautes de La
Vérité
est incomparablement inférieur au crime de Gourget et aux fautes de
Naville.
D’ailleurs
j’entretiendrai Molinier — il doit venir dans un ou deux jours —
de toutes les questions soulevées dans vos dernières lettres.
Je
ne parle pas de la question allemande qui n’est pas moins
importante. Là aussi l’attitude de Naville est équivoque. On sait
très bien que derrière la coulisse il marche avec Landau ; mais il
n’ose pas se prononcer ouvertement en faveur de son allié. Est-ce
que c’est une attitude révolutionnaire ? Pas de doute, au dernier
moment, quand le vide embrouillé de la politique de Landau aura été
démontré à tout le monde, Naville votera pour l’ordre du jour
définitif. Hélas, des procédés pareils ne témoignent pas d’un
caractère révolutionnaire.
Mes
remerciements et mes saluts les plus sincères
Votre
L. Trotsky