Léon
Trotsky : Lettre à Pierre Naville
[Léon
Trotsky - Pierre
Naville - Denise Naville - Jean Van Heijenoort : Correspondance
1929-1939,
Paris 1989, pp.
110-112]
Coyoacán,
le 17 mars 1937
A
Pierre Naville
Copies
à Nicole, Held, Nelz, Dauge,
Sneevliet
et Tchécoslovaquie.
Copie
Isaacs
Cher
camarade Naville,
Je
ne vous ai pas écrit plus tôt parce que je suis vraiment accablé
par le travail et aussi parce que j’étais et je reste très frappé
par la nonchalance extraordinaire avec laquelle les dépositions ont
été faites (pas la vôtre). J’ai écrit maintes fois là-dessus à
L. et à d’autres. J’espère bien qu’on refera la plupart de
ces dépositions dans le sens de la précision nécessaire. Quelle
valeur peuvent avoir des racontars sur des visites à Royan, si on ne
donne pas de dates précises, et on ne dit pas pourquoi on était
obligé de venir à Royan, si on ne rapporte pas ce qu’on a entendu
dire par d’autres sur le voyage de Marseille à Royan, si on ne
donne pas les détails des discussions politiques, surtout concernant
l’URSS et sa défense ?
Vous
communiquez que le Comité français se répand en province et qu’on
se prépare à passer à la création d’une commission
d’investigation. C’est très bien, à condition qu’on ne répète
pas les procédés employés avec les dépositions, mais qu’on
agisse vite et fort.
Mais,
et ici je touche le point principal, on ne peut plus avoir deux
commissions d’investigation à droits égaux, une à New York et
l’autre à Paris. Ce serait la pire confusion. Tous les matériaux
se concentrent maintenant à New York et à Mexico. Le centre
d’investigation est indiqué par toute la situation, c’est New
York. Peut-être aurai-je la possibilité d’y aller pour faire mes
dépositions. Dans le cas contraire, je ferai mes dépositions ici
devant une commission rogatoire. En somme, le Comité français doit
volontairement se subordonner à la Commission américaine. S’il
pouvait envoyer un ou deux de ses représentants à New York, au
moins pour quelques semaines, ce serait excellent. Ces représentants
pourraient diriger à Paris le travail d’investigation sur les
bases élaborées en commun à New York. Il s’agit pour l’instant
de soutenir le Comité de New York dans la voie de la création de la
commission d’investigation. Il serait excellent que tous les
comités de Paris, Lyon, etc., invitent par télégramme le Comité
de New York à prendre immédiatement l’initiative de
l’investigation dans ses mains, en s’appuyant sur les mandats des
comités européens. Des télégrammes semblables pourraient et
devraient être envoyés par les organisations respectives de
Belgique, Hollande, Suisse, Tchécoslovaquie, etc. Est-ce que
vraiment on ne serait pas capable de cet effort, qui n’est
nullement extraordinaire ? On piétine depuis trop longtemps sur
place. J’envoie la copie de cette lettre à Nicole, Held, Nelz,
Dauge, Sneevliet et en Tchécoslovaquie et j’attends une réaction
immédiate. Les camarades qui dans une situation si exceptionnelle et
dont dépend beaucoup de choses — et des choses importantes —
démontrent de l’insouciance et de la nonchalance et perdent de
nouveau du temps, doivent être considérés comme absolument
étrangers à notre cause. C’est au moins mon sentiment personnel.
J’espère
donc de votre part et de la part des autres un plein rendement.
Mes
saluts les plus chaleureux à Denise et à tous les amis.
L.
Trotsky
P.S.
Je ne parle pas ici de la direction du POUM et de tout le fameux
Bureau de Londres. Toutes les choses artificielles se décomposent
rapidement dans l’atmosphère terrible de cette époque. Ceux de
nos amis qui courtisent la direction du POUM au lieu d’aider le
parti par la critique marxiste sévère seront punis par les
événements et quand les meilleurs éléments du POUM tireront les
leçons amères de la fausse politique, ils se tourneront vers nous,
les vrais amis, et non pas vers les conciliateurs bienveillants.
L.T.