Léon
Trotsky : Des Faits significatifs
(2
mars 1938)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 16, janvier 1938 – mars 1938. Institut Léon
Trotsky, Paris 1983, pp. 222 f.,
voir des
annotations là-bas]
Krestinsky,
prédécesseur de Staline comme secrétaire du parti, puis
commissaire aux finances, ensuite ambassadeur à Berlin pendant cinq
ans, a nié au cours de la première séance du tribunal les aveux
absurdes qu'il avait faits au cours de l’instruction secrète menée
par le G.P.U. Que signifie cette attitude? Il est bien possible que
ce réveil de la dignité et du courage en entraîne d’autres sur
la même voie. Ce serait le plus lamentable fiasco de tout
l’échafaudage judiciaire. Ce serait la fin politique de Staline.
C’est pourquoi il faut être prudent dans les pronostics. Pendant
la nuit, Krestinsky, comme tous les autres accusés, doit retourner
dans sa cellule. Dans ce laps de temps, le G.P.U. est maître de la
situation. Que dira Krestinsky demain, si on l’a prévenu pendant
la nuit que sa femme et sa fille peuvent être les premières
victimes de son audace ? Attendons donc le développement ultérieur
du procès. En revanche, gardons présente ;t l’esprit cette
dénonciation morale, même si elle est passagère Elle démontre,
même aux aveugles, comment a été préparé le procès.
Le
pauvre vieux Rakovsky a avoué qu’il a tramé un complot avec les
Japonais quand il était à Tokyo en mission officielle en tant que
représentant de la Croix Rouge soviétique, en 1934, tout de suite
après sa capitulation politique devant Staline.
Pour
sa part, Boukharine a confessé qu’il a reçu, pendant son séjour
à Paris en 1936, des mains de Léon Sedov, mon fils récemment
décédé, des instructions en vue d’actes terroristes Pour le
moment je ne veux pas m’arrêter à examiner l'absurdité
intrinsèque de ces dépositions, mais je me permets de reproduire
a-dessous un bref dialogue extrait du compte rendu sténographique
d’enquête
de la commission du Dr Dewey à Coyoacán. Voici ce
qu’on
peut lire pp. 338-339 :
«
Goldman
:
Pouvez-vous nous donner une opinion sur un procès futur qui
comprendrait Boukharine et autres ? Vous attendez-vous à ce que
Boukharine et Rykov soient reliés à vous ? »
«
Trotsky
:
Tout
est possible. Je sais seulement que Boukharine a été envoyé à
l’étranger en 1936, au début de 1936. Il est allé à Prague en
touriste. Je me suis demandé si ce n’était pas avec l’intention
de préparer une nouvelle combinaison dont il serait la base. Il a
donné une conférence à Prague, tout à fait dans l’esprit
officiel. Mais il est probable qu’on l’a envoyé à l’étranger
pour créer la possibilité d’affirmer qu’il est entré en
relations à l’étranger avec des trotskystes et des agents
allemands. Je ne le sais pas, mais c’est possible. Il en va de même
pour Rakovsky Tout de suite après sa capitulation, il a été envoyé
au Japon. Cela m’a fait un peu peur. Qu’est-ce que cela voulait
dire? A la fin de 1934, les amis britanniques de l’Union soviétique
ont déclaré :
“
Vous voyez, le repentir de Rakovsky est tout à fait sincère. Le
gouvernement l’envoie à l’étranger. ” Maintenant,
je me demande s’il n’existait pas un deuxième objectif, celui de
t’accuser ensuite de s’être mis en rapports avec les chefs
militaires japonais qui étaient dans le gouvernement, etc.
»
Ce
pronostic,
formulé en avril 1937, s’est réalisé. Il était facile
à
faire :
quand
on connaît les coefficients d’une progression géométrique,
on
peut déterminer facilement les termes n, n+ etc.
Quand
on connaît les coefficients d’une falsification, on peut,
après
les procès antérieurs, prévoir le bilan du nouveau procès.