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Léon Trotsky 19381114 L’Assassinat de Raspoutine et l’Exécution de Nicolas II

Léon Trotsky : L’Assassinat de Raspoutine et l’Exécution de Nicolas II

(14 novembre 1938)

[Source Léon Trotsky, Œuvres 19, octobre 1938 a décembre 1938. Institut Léon Trotsky, Paris 1985, pp. 172-174, voir des annotations là-bas]

Vous me demandez quel rôle j'ai personnellement joué dans l’assassinat de Raspoutine et l'exécution de Nicolas II. Je m’étonne que cette question, qui appartient depuis longtemps à l’histoire, puisse intéresser la presse ; elle a trait à des jours déjà lointains.

Je n’ai absolument rien à voir, bien entendu, avec l’assassinat de Raspoutine. Raspoutine a été tué le 30 décembre 1916. A cette époque, j’étais à bord d’un bateau qui nous transportait, ma famille et moi, d’Espagne aux Etats-Unis. Cette distance géographique prouve à elle seule que je ne pouvais pas participer à cette entreprise. Mais il existe aussi de sérieuses raisons politiques. Les marxistes russes n’avaient rien de commun avec le terrorisme individuel : ils étaient les organisateurs du mouvement révolutionnaire de masses. En fait, l’assassinat de Raspoutine a été réalisé par des éléments de l’entourage de la cour impériale. Ceux qui ont trempé personnellement dans cet assassinat sont Pourichkiévitch, le député monarchiste ultra-réactionnaire à la Douma, le prince Youssoupov, qui avait des liens avec la famille du tsar, et d’autres personnes de ce genre : il semble que l’un des grands ducs, Dimitri Pavlovitch ait été mêlé étroitement à la préparation de l’assassinat.

L’objectif des conspirateurs était de sauver la monarchie en la débarrassant d'un « mauvais conseiller ». Notre objectif à nous était d’en finir avec la monarchie et tous ses conseillers. Nous ne nous occupions pas d’aventureux assassinats individuels, nous préparions la révolution. On sait que l’assassinat de Raspoutine n’a pas sauvé la monarchie ; la révolution l’a suivi, deux mois plus tard.

L’exécution du tsar est une affaire tout à fait différente. Nicolas II avait déjà été arrêté par le gouvernement provisoire ; il avait d’abord été détenu à Pétrograd, puis envoyé à Tobolsk. Mais Tobolsk est une petite ville sans industrie ni prolétariat et ne constituait pas une résidence sûre pour le tsar ; on pouvait s’attendre à ce que les contre-révolutionnaires essaient de le libérer pour le mettre à la tête des Gardes blancs. Les autorités soviétiques le firent transférer de Tobolsk à Ekaterinburg, dans l'Oural, qui était l’un des centres industriels les plus importants. Il était possible de penser que là, la garde du tsar serait bien assurée. La famille impériale vivait dans une demeure privée et jouissait d’une certaine liberté. On proposa d’organiser un procès public du tsar et de la tsarine, mais l’idée n’aboutit pas. Dans l’intervalle, le développement de la guerre civile en avait tranché autrement.

Des bandes de Gardes blancs encerclèrent Ekaterinburg ; ils pouvaient, d’un instant à l’autre, pénétrer dans la ville. Leur objectif principal était de libérer la famille impériale. C’est dans ces conditions que le soviet local décida l’exécution du tsar et de sa famille.

Personnellement je me trouvais à ce moment sur une autre partie du front et, aussi étrange que cela puisse paraître, je n’ai pas entendu parler de cette exécution avant une semaine, sinon plus. Dans le tourbillon des événements, ce fait ne m’a pas beaucoup impressionné et je n’ai jamais cherché à savoir « comment » c’était arrivé. Je dois ajouter que l’intérêt spécifique pour le sort des individus couronnés ou ex-couronnés renferme une part considérable d’instincts serviles. Pendant la guerre civile, qui avait été provoquée exclusivement par les capitalistes et propriétaires fonciers russes, avec la collaboration de l’impérialisme étranger, des centaines de milliers de personnes ont péri. Si les membres de la dynastie des Romanov sont tombés parmi eux, il est impossible de ne pas y voir une juste compensation de tous les crimes de la monarchie tsariste. Les Mexicains, qui se sont débarrassés de l’empereur Maximilien, possèdent à cet égard une tradition qui n’est pas mauvaise.

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