Léon
Trotsky : Le Problème du Labor Party
(avril
1938)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 17, mars 1938 a
juin 1938.
Institut Léon Trotsky, Paris 1984, pp. 121-123]
La
question du Labor Party n’a jamais été une question de «
principe » pour les marxistes révolutionnaires. Nous sommes
toujours partis de la situation politique concrète et des tendances
de son développement. Il y a quelques années, avant la crise de
1929 et même après, lors de l’apparition du C.I.O., nous pouvions
espérer que le parti révolutionnaire, c’est-à-dire le parti
bolchevique, pourrait se développer aux États-Unis parallèlement à
la radicalisation de la classe ouvrière et parvenir éventuellement
à en prendre la tête. Dans ces conditions, il aurait été absurde
de faire une propagande abstraite en faveur d’un « Labor Party »
qui n’était pas proclamé.
La
situation, depuis, a néanmoins radicalement changé et nous
n’aurions aucune excuse pour nous fermer les yeux devant ce fait.
Les syndicats qui se développent puissamment dans les conditions de
l’approfondissement de la crise du capitalisme se projetteront de
façon d’autant plus irrésistible sur la voie de la lutte
politique et, par là, sur celle de la cristallisation en un « Labor
Party ».
Si
les dirigeants officiels des syndicats, en dépit de l’appel
impérieux de la situation et de la pression grandissante des masses,
conservent une position réservée sur la question d’un Labor
Party, c’est précisément parce que la profondeur de la crise
sociale de la société bourgeoise confère maintenant à la question
du Labor Party une acuité infiniment plus grande que dans les
périodes précédentes.
Nous
pouvons néanmoins prédire avec suffisamment d’assurance que la
résistance de la bureaucratie sera brisée. Le mouvement en faveur
d’un Labor Party va continuer à grandir.
Une
organisation révolutionnaire qui aurait vis-à-vis de ce mouvement
progressiste une position négative ou une neutralité expectative se
vouerait elle-même à l’isolement et à la dégénérescence
sectaire.
Le
Socialist Workers Party, section de la IVe
Internationale, comprend clairement le fait qu’en vertu de raisons
historiques défavorables, son propre développement s’est produit
avec beaucoup de retard par rapport à la radicalisation de larges
couches du prolétariat américain, et c’est précisément pour
cela que le problème de la création d’un Labor Party est mis à
l’ordre du jour par tout le cours du développement.
Le
Socialist Workers Party ne se borne pas cependant, comme le font les
staliniens, les lovestonistes, etc., à un mot d’ordre abstrait en
faveur d’un Labor ou d’un Farmer-Labor Party et il peut encore
moins admettre des combinaisons sans principes de sommet sous le
couvert de ce mot d’ordre : il met en avant un programme de
revendications de transition afin de faire fructifier le mouvement de
masses pour un Labor Party.
Tout
en préservant sa pleine indépendance organisationnelle et
politique, le S.W.P. mène systématiquement et de façon
intransigeante la lutte contre la bureaucratie syndicale qui résiste
à la création d’un Labor Party ou tente d’en faire une arme
auxiliaire d’un des partis bourgeois. En expliquant et en
popularisant son programme de revendications de transition, dans les
syndicats, dans ses propres réunions, etc., le S.W.P. dénonce
inlassablement, sur la base de l’expérience vivante des masses,
les illusions réformistes et pacifistes de la bureaucratie syndicale
et de ses alliés social-démocrates et staliniens.
Quand
et comment le Labor Party sera constitué, quelles étapes et quelles
scissions il va traverser, l’avenir le dira. En défendant le Labor
Party contre les attaques de la bourgeoisie, le S.W.P. ne prend et ne
veut pas prendre sur lui la responsabilité de ce parti. Vis-à-vis
du Labor Party, à toutes les étapes de son développement, le
S.W.P. maintient une position critique, soutient les tendances
progressistes contre les tendances réactionnaires et, en même
temps, critique impitoyablement le caractère chèvre-chou de ces
tendances progressistes. Pour le S.W.P., le Labor Party devrait
devenir d’une part un champ de recrutement d’éléments
révolutionnaires et, de l’autre, une courroie de transmission pour
influencer des cercles toujours plus larges d’ouvriers. De par sa
nature même, le Labor Party ne peut conserver sa signification
progressiste que le temps d’une période de transition relativement
brève. L’aggravation ultérieure de la situation révolutionnaire
conduira inévitablement à briser la coquille du Labor Party et
permettra au Socialist Workers Party de rallier autour du drapeau de
la IVe
Internationale l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat
américain.