Léon
Trotsky : Lettre à Jan Frankel, Harold Isaaks et Grace Simons
(17
janvier 1938)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 16, janvier 1938 – mars 1938. Institut Léon
Trotsky, Paris 1983, p. 94-96,
titre :
« Que faire pour Chen Duxiu? », voir des
annotations là-bas]
La
proposition du camarade Frank [Glass] me semble correcte s’il
existe une possibilité que le camarade C[hen Duxiu]
quitte
son État sans l’autorisation officielle du gouvernement. Une
pression « amicale » sur les autorités chinoises pourrait avoir
les résultats désirés ; mais si cela ne marche pas, la
surveillance gouvernementale se renforcera et diminuera ainsi ses
possibilités de quitter la Chine. C’est pourquoi je propose de
préparer simultanément deux voies, à savoir :
1.
Créer
tout de suite à New York une commission non publique avec l’objectif
d’étudier les possibilités du départ de C[hen Duxiu] de Chine
aussi vite que possible, sans aucune intervention officielle ;
collecter de l’argent dans ce but et ainsi de suite. 2. En même
temps, commencer une campagne de pression « amicale » sur les
autorités chinoises par l’intermédiaire de libéraux, de radicaux
et de figures importantes de notre propre mouvement.
Par
exemple, quelques intellectuels mexicains avec des noms (Diego
Rivera, Juan O’Gorman et autres) pourraient rendre visite
à
l’ambassadeur chinois ici et lui présenter une pétition écrite
à
peu près comme suit :
«
Nous,
soussignés et nombre de nos amis, sommes les amis sincères
et
dévoués de la Chine dans sa lutte pour sa libération contre
l’impérialisme
japonais. Nous nous intéressons personnellement
au
sort de C[hen Duxiu] que nous connaissons comme un homme
honnête
et un patriote sincère.
Nous
n’appartenons pas au camp stalinien. D’un autre côté, nous
comprenons
les raisons de la coopération entre le gouvernement
chinois
et Moscou. Cette coopération crée une situation tres
difficile
pour C[hen Duxiu] l’empêchant même de mener un combat
public
en faveur de la Chine. Nous avons été informés de cette situation
par un correspondant étranger digne de confiance, un ami sincère de
la Chine.
Permettez-nous
d’insister devant les autorités chinoises sur le
fait
que,
si M. C[hen Duxiu] va à l’étranger, il peut être très utile
dans une campagne internationale des éléments de gauche
particulièrement les ouvriers, contre l’oppression de
l'impérialisme japonais. La situation militaire en Extrême-Orient
indique que
le grand
combat durera longtemps, avec des hauts et des bas. Une
mobilisation
systématique et insistante de l’opinion publique mondiale
est
nécessaire. Dans une telle campagne, le rôle des éléments
indépendants de gauche aura une grande valeur pour le peuple
chinois.
Les partis communistes officiels sont connus comme
des
instruments de Moscou. Leur influence est donc limitée.
M.
C[hen Duxiu] est connu en tant que révolutionnaire chinois
indépendant. Avec ses connaissances et son aide, nous pourrons
certainement
rendre d’importants services à une campagne
internationale
de ce type.
Nous
ne voulons pas dissimuler une pensée qui nous inquiète.
Dans
divers pays, le G.P.U. de Moscou cherche à exterminer tous ces
éléments de gauche qui ont une attitude critique à l’égard du
Kremlin. Nous savons de sources autorisées que
M.
C[hen
Duxiu] est sur la liste noire du G.P.U. Sous un prétexte
ou
un autre, il peut être assassiné sur le territoire chinois et
le
G.P.U. essaiera alors de placer la responsabilité d’un tel crime
sur
les autorités chinoises. Nous sommes certains qu’aux I
États-Unis,
la vie de M. C[hen Duxiu] pourrait être mieux protégée
d’une
possible tentative contre elle de la part du G.P.U.
Telles
sont, Monsieur l’Ambassadeur, les raisons pour lesquelles nous vous
pressons d’intervenir dans cette affaire, avec des
sentiments
de sympathie la plus sincère pour votre peuple dans
son
héroïque combat contre l’invasion impérialiste. »
Une
lettre analogue, mais pas nécessairement identique, pourrait être
rédigée aux États et signée par les personnalités appropriées –
et
aussi en Angleterre et en France.
Un
document de cette nature serait un avertissement aux autorités
chinoises, bien que loin d’être une garantie absolue pour la vie
de C[hen Duxiu]. Un tel document ne pourrait être préjudiciable à
la situation de C[hen Duxiu] en Chine, surtout si on ne perd pas de
temps et si on se prépare pour l’autre version.