Léon
Trotsky : Pour résumer sur les revendications de transition :
discussion
(23
mars 1938)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 17, mars 1938 a
juin 1938.
Institut Léon Trotsky, Paris 1984, pp. 78-88,
voir
des
annotations là-bas]
Trotsky.
– Au cours des discussions précédentes, des camarades ont eu
l’impression que quelques-unes de mes propositions ou
revendications étaient opportunistes, et d’autres qu’elles
étaient trop révolutionnaires et ne correspondaient pas à la
situation objective. Cette combinaison est fort compromettante, et
c’est pourquoi je voudrais défendre brièvement cette apparente
contradiction.
Quelle
est la situation générale, aux États-Unis et dans le monde entier
? La crise économique est sans précédent, la crise financière,
dans chacun des états, de même, et la guerre approche. C’est une
crise sociale sans précédent. Pendant sept, huit ou neuf ans, nous
avons cru que le capitalisme américain ferait preuve de plus de
résistance, mais les faits ont montré que le capitalisme américain,
c’est-à-dire le capitalisme apoplectique, est peut-être plus près
que d’autres de l’effondrement. La crise américaine est une
crise sociale, pas une crise de conjoncture. Cette crise sociale –
qu’on appelle maintenant récession – présente des traits d’une
extrême acuité. Ce n’est pas la fin de la récession.
Les
difficultés financières des États-Unis. Naturellement la nation
est très riche, et l’État peut lui emprunter, mais cela veut dire
que, sur la base de la crise financière, il y a une crise de l’État.
Nous pouvons dire qu’il y a crise politique de la classe dominante.
La prospérité s’est évanouie ; personne ne croit à son retour.
Et ce fait se reflète dans la crise politique des démocrates et des
républicains. Les classes dominantes sont désorganisées et à la
recherche d’un nouveau programme. Le programme de Roosevelt est
expérimental, pour ne pas dire aventuriste, du point de vue
capitaliste. Cela signifie une prémisse tout à fait fondamentale
pour une situation révolutionnaire. C’est vrai pour le monde,
c’est vrai pour les États-Unis et peut-être spécialement pour
eux.
Maintenant,
la question du prolétariat. Il s’est produit un très grand
changement dans la situation de la classe ouvrière. J’ai appris
avec intérêt et plaisir, dans quelques articles du Socialist
Appeal
et de New
International,
qu’aujourd’hui le sentiment de l’ouvrier américain qu’il
est un ouvrier,
est en train de grandir, que ce n’est pas le vieil état d’esprit
pionnier, qu’il est ouvrier pour un temps : maintenant il est un
ouvrier permanent, et même un chômeur permanent. C’est la base de
tous les autres développements dans la classe ouvrière. Et puis il
y a eu les grèves sur le tas. Elles étaient, je crois, sans
précédent, dans tout le mouvement ouvrier aux États-Unis. Comme
résultat de ce mouvement, la fondation et la croissance du C.I.O. Et
aussi la tendance à construire le Labor party, la L.N.P.L.
Je
ne connais pas suffisamment l’histoire et l’actualité du
mouvement ouvrier en Amérique. Mais, de façon générale, en 1924,
je peux dire que le mouvement était plus imposant, mais
qu’aujourd’hui les prémisses sociales sont incomparablement plus
mûres. C’est pourquoi la signification du Labor Party est plus
importante aujourd’hui. Je ne dirai pas pourtant que toutes les
conditions sont développées au même degré et au même niveau. Si
on prend la situation mondiale en général – les contradictions
impérialistes, la position du capitalisme américain, la crise et le
chômage, la position de l’État américain comme une expression de
l’économie américaine, de la bourgeoisie américaine, l’état
d’esprit politique de la classe dirigeante, la désorientation dans
ses rangs et la position de la classe ouvrière – on peut dire, en
prenant tout cela en considération, que les prémisses sont plus
mûres pour la révolution.
Si
on passe de ces prémisses à la superstructure, à la politique, on
relève moins de maturité. Les contradictions internes du
capitalisme américain – la crise et le chômage – sont
incomparablement plus mûres pour une révolution que la conscience
des ouvriers américains. Tels sont les deux pôles de la situation.
On peut dire qu’elle est caractérisée par une sur-maturité de
toutes les prémisses sociales fondamentales pour la révolution, un
fait que personnellement je n’avais pas prévu il y a huit ou neuf
ans.
D’un
autre côté, grâce à la rapidité et l’aggravation de la
décomposition des conditions matérielles aux États-Unis, la
conscience des masses – bien qu’elle ait réalisé des progrès
importants – demeure arriérée en comparaison des conditions
objectives. Nous savons que les conditions subjectives – la
conscience des masses, la croissance du parti révolutionnaire – ne
sont pas un facteur fondamental. Elles dépendent de la situation
objective, en dernière analyse, l’élément subjectif dépend
lui-même des conditions objectives, mais cette dépendance n’est
pas un processus simple.
On
a observé en France l’année dernière un phénomène très
important et très instructif pour les camarades des E.U. Le
mouvement ouvrier avait reçu un élan puissant. Les syndicats
étaient passés en quelques mois de moins d’un million à près de
cinq millions. Les grèves sur le tas en France ont été
incomparablement plus puissantes qu’aux E.U. Les travailleurs
étaient prêts à tout, à aller jusqu’au bout. Et, d’un autre
côté, on a vu la mécanique du Front populaire : pour la première
fois, on pouvait démontrer l’importance historique de la trahison
de l’I.C. Parce que, depuis quelques années, l’I.C. est devenue
un appareil pour la conservation sociale du capitalisme, la
disproportion entre les facteurs objectifs et subjectifs a pris une
acuité terrible, et le Front populaire est devenu le frein le plus
puissant pour canaliser ce grand courant révolutionnaire des masses.
Et il y est, dans une certaine mesure, arrivé. On ne peut pas
prévoir ce que sera demain, mais, en France, ils sont arrivés à
capturer le mouvement des masses, et on voit maintenant le résultat
: le mouvement à droite, Blum qui devient un dirigeant, celui qui
forme les gouvernements d’union, l'union
sacrée
pour la guerre. Mais ce n’est qu’un phénomène secondaire. Le
plus important, c’est qu’il existe, partout dans le monde, ce qui
existe aux États-Unis, à savoir cette disproportion entre les
facteurs objectifs et subjectifs, mais elle n’a jamais été aussi
aiguë que maintenant. On a aux États-Unis un mouvement des masses
pour surmonter cette disproportion, celui qui va de Green à Lewis,
de Walker à La Guardia. Il s’agit de surmonter la contradiction
fondamentale. Le P.C. joue aux États-Unis le même rôle qu’en
France, mais à une échelle plus modeste. Le rooseveltisme remplace
ici le Front popularisme de France. Dans ces conditions, notre parti
doit réaliser, doit aider les ouvriers à surmonter cette
contradiction.
Quelles
sont nos tâches ? Les tâches stratégiques consistent à aider les
masses, à adapter leur mentalité politique et psychologique à la
situation objective, à surmonter les préjugés traditionnels des
ouvriers américains, à adapter leur état d’esprit à la
situation objective de la crise sociale de l’ensemble du système.
Dans
cette situation – prenant en considération la petite expérience,
puis considérant la création du C.I.O., les grèves sur le tas,
etc. – nous avons tout à fait le droit d’être plus optimistes,
plus courageux, plus offensifs dans notre stratégie et notre
tactique – pas aventuristes – et d’avancer des mots d’ordre
qui ne font pas partie du vocabulaire de la classe ouvrière
américaine.
Quel
est le sens du programme de transition ? On peut dire que c’est un
programme d’action, mais pour nous, pour notre conception
stratégique, c’est un programme de transition – c’est une aide
aux masses pour surmonter les idées reçues, les méthodes et les
formes, et pour s’adapter aux exigences de la situation objective.
Ce programme de transition doit inclure les revendications les plus
simples. Nous ne pouvons ni prévoir ni prescrire les revendications
locales et syndicales adaptées à la situation locale d’une usine
donnée, le développement de cette revendication, au mot d’ordre
pour la création d’un soviet d’ouvriers.
Ce
sont là les deux points extrêmes, à partir du développement de
notre programme de transition, pour trouver les liens et amener les
masses à l’idée de la prise révolutionnaire du pouvoir. C’est
pourquoi certaines revendications apparaissent comme très
opportunistes – parce qu’elles sont adaptées à la mentalité
réelle des travailleurs. C’est pourquoi d’autres apparaissent
comme trop révolutionnaires – parce qu’elles reflètent plus la
situation objective que la mentalité réelle des ouvriers. Nous
devons combler aussi vite que possible l’écart entre les facteurs
objectifs et les facteurs subjectifs. C’est pourquoi je ne peux
surestimer l’importance du programme de transition.
Vous
pouvez m’objecter qu’on ne peut pas prédire le rythme de
développement, et que la bourgeoisie trouvera peut-être une
position de repli politique – ce n’est pas exclu – et que nous
serons alors obligés de battre en retraite. Mais dans la situation
actuelle, c’est vers une stratégie offensive, non vers la retraite
que nous devons nous orienter. Cette offensive stratégique doit être
inspirée par l’idée de la création de soviets d’ouvriers à
celle d’un gouvernement ouvrier et paysan. Je ne propose pas de
lancer tout de suite le mot d’ordre des soviets – pour bien des
raisons, surtout parce que ce mot d’ordre n’a pas pour les
ouvriers américains le sens qu’il avait pour les ouvriers russes –
pour aller, de là, à la dictature du prolétariat. Il est très
possible et probable que, de même qu’on a vu aux États-Unis les
grèves sur le tas, on y verra, sous une forme nouvelle, un
équivalent des soviets. Probablement commencera-t-on par leur donner
un autre nom. Dans certaines périodes, les soviets peuvent être
remplacés par les comités d’usine, de l’échelle locale à
l’échelle nationale. On ne peut le dire à l’avance, mais notre
orientation stratégique pour la prochaine période, c’est
l’orientation vers les soviets. L’ensemble du programme de
transition doit combler les trous entre les conditions d’aujourd’hui
et les soviets de demain.
Shachtman.
– Pourriez-vous
élaborer et développer les perspectives de guerre, sur le plan
international et par rapport aux États-Unis aujourd’hui ?
Trotsky.
– Dans cette perspective stratégique, la guerre signifie, comme
Lénine l’a dit, un accélérateur formidable du mouvement. Si les
États-Unis étaient impliqués dans une guerre, cela signifierait
d’abord l’isolement pour nous, mais pas pour des années, comme
pendant la dernière guerre, mais pour quelques mois. Puis une énorme
vague de sympathie pour nous transformerait notre parti en centre
révolutionnaire national dans un bref laps de temps. En ce sens, la
guerre qui vient est l’un des facteurs fondamentaux d’une
situation pré-révolutionnaire et changera plus en six mois la
mentalité des ouvriers américains que nous n’aurions pu le faire
en six ans et plus. Elle créera pour nous des conditions
exceptionnellement favorables, pourvu que nous ayons une attitude
stratégique, la prévoyant, préparant nos cadres, et ne nous
absorbant pas dans de petites questions. Naturellement c’est un
acquis considérable que nous soyons enracinés dans les syndicats,
mais il est très important de ne pas perdre de vue notre ligne
stratégique mondiale. Toute revendication économique locale,
partielle, doit viser à se rapprocher d’une revendication générale
de notre programme de transition, et surtout sur la question de la
guerre : comme nous l’avons dit hier, le contrôle de l’industrie
de guerre et l’armement des ouvriers et des paysans.
Shachtman.
– Deux
autres questions : nos relations avec les fermiers ? Deuxièmement,
les rapports du parti avec les classes moyennes urbaines ?
Trotsky.
– Je crois qu’il s’agit d’expliquer aux ouvriers la situation
du fermier et comment on peut l’améliorer. Nous sommes trop
faibles pour consacrer directement nos forces aux fermiers, mais il
faut que nos ouvriers aient une claire compréhension de leur
situation et que nous aussi, nous ayons un programme de transition
lié à celui des ouvriers. Nous devons expliquer que nous
n’imposerons pas la collectivisation, que nous espérons les
convaincre; que, s’ils veulent conserver leur indépendance, nous
les aiderons par le crédit ; et que nous commencerons par le mot
d’ordre de l’intervention de l’État, non en faveur des trusts,
mais en faveur des fermiers. Puis nous disons : quand nous serons au
pouvoir, il ne sera pas question de violence contre vous ; vous
choisirez vos propres méthodes. C’est transitoire seulement au
sens que cela relie la situation actuelle des fermiers à la
collectivisation de l’agriculture. Mais nous disons : si vous ne
voulez pas aller plus loin, nous attendrons.
Avec
les classes moyennes urbaines, c’est pareil. Pour les commerçants,
les petits de l’industrie : « Vous voulez rester indépendants.
Maintenant vous dépendez des trusts. Vous dépendrez de l’État :
il vous donnera des produits et vous les vendrez. Si vous voulez
transformer votre magasin en magasin d’État, nous réglerons cette
question avec vous. Nous vous donnerons une période de choix, mais
ce sera pour vous une bonne période, car l’État ne sera pas
asservi aux intérêts du grand capital. Alors vous serez au service
du peuple. En Amérique, vous conserverez vos privilèges sociaux au
moins pour un temps. »
Naturellement,
nous ne pouvons pas dire aux techniciens qu’ils deviendront des
technocrates – non, nous ne pouvons pas permettre une nouvelle
aristocratie, mais ils constitueront, une partie importante de la
société.
Rivera.
– Il
y a aussi une stratification parmi les ingénieurs qui gagnent moins
que les plâtriers. Cela signifie dès maintenant qu’ils sont de
véritables travailleurs et c’est tant mieux pour nous.
Trotsky.
– La stratification à l’intérieur des professions est une
question très importante.
Cannon.
– Quel
sera l’effet de la guerre
?
Shachtman.
– Supposons
que ce soit une guerre européenne dans laquelle les États-Unis
n’entrent pas encore ?
Trotsky.
– Dans ce cas, pour les États-Unis, l’effondrement économique
sera reporté. Ce qui est clair, c’est que les pays engagés dans
la guerre connaîtront l’effondrement non au bout de quatre ou six
ans, mais au bout de six à douze mois, parce que les pays
capitalistes ne sont pas plus riches, mais plus pauvres qu’en 1914,
sur le plan matériel ; techniquement, ils sont plus riches, ils
dépenseront quatre, cinq, six fois plus que pendant la première
guerre mondiale pour la destruction, parce que la guerre commencera
là où se terminait la première. Le facteur psychologique, celui
qui fait que la vieille génération qui a fait la dernière guerre,
vit encore, et que les traditions de la dernière guerre sont encore
vivantes ; personne ne va croire que cela signifie le bonheur,
l’épanouissement des droits, la destruction du militarisme, et que
cette production sera pour l’humanité. Ces leçons existent même
dans la jeune génération. C’est pourquoi leur patience ne sera
pas longue. Et la révolution ne viendra pas après quatre ans, mais
bien plus tôt, après quelques mois. Si nous entrons dans cette
guerre bien trempés et durs comme l’acier, si nous sommes capables
de surmonter courageusement les obstacles de la première période,
nous deviendrons la force décisive, aux États-Unis comme ailleurs.
Cannon.
– Peut-on
considérer l’expropriation comme la nationalisation, le terme
qu’emploient les réformistes ?
Trotsky.
– Il faut souligner que si le pouvoir est aux mains de Roosevelt,
il n’est pas dans les nôtres. Il nous faut chaque fois souligner
l’élément de classe. Il nous faut opposer notre formule à celle
des réformistes : nationalisation ? Oui, mais aux mains de qui ?
Cannon.
– Combien
de temps les États-Unis pourront-ils selon vous se tenir à l’écart
de la guerre ?
Trotsky.
– Je crois qu’ils n’interviendront pas au début, mais cela ne
dépend pas seulement d’eux – mais de l’activité du Japon et
de l’attitude de la Grande-Bretagne. C’est très difficile à
dire, mais il faut s’attendre à des intervalles beaucoup plus
brefs que dans la dernière guerre où ils ont mis presque deux ans
et demi avant d’intervenir. Maintenant, en deux ans et demi, ce
sera l’effondrement général.
S’ils
veulent influer sur la guerre, il leur faut intervenir beaucoup plus
vite et sur une échelle sans précédent en Europe et ailleurs, en
concentrant des forces dix fois supérieures à celles de Wilson qui
n’avait pas dix millions et plus de chômeurs. On peut dire que
tous ces chômeurs seront absorbés par l’industrie de guerre, mais
cela signifie la création d’une terrible pompe pour absorber
toutes les richesses de la nation.
Shachtman.
– Pensez-vous
que l’Union Soviétique sera avec un état contre un autre, ou bien
que les impérialistes permettront à Hitler d’attaquer à l’Ouest
et le Japon en Orient ?
Trotsky.
– Je ne crois pas qu’ils auront un plan aussi raisonnable. Je
crois que la guerre commencera avec l’Union Soviétique dans un des
camps, et que, pendant la guerre, ils l’écraseront – par des
alliés ou des ennemis, peu importe – à moins qu’une révolution
n’éclate.
Shachtman.
– Comment
expliquer alors le tournant politique en Grande-Bretagne ?
Trotsky.
– C’est une tentative – vitale autant pour l’Italie que pour
la Grande-Bretagne – de voir si elles peuvent arriver à un accord,
et ce qu’elles feront s’il dure plus de trois mois, si l’Italie
reste dans l’expectative comme dans la dernière guerre, ou si elle
rejoint le plus fort, ou ceux qui lui semblent les plus forts. J’ai
traité cette question des alliances et alignements possibles en cas
de guerre dans un article pour la presse bourgeoise, mais il n’a
pas été publié. Peut-être notre presse le publiera-t-elle.
Shachtman.
– Et
maintenant, sur le travail du parti dans la lutte contre la guerre.
Vous dites, et je crois que c’est juste, que si et quand la guerre
éclatera aux États-Unis, la première réaction des ouvriers sera
une terrible vague de chauvinisme, et que notre parti sera mis hors
la loi. Comment le parti russe fonctionnait-il dans l’illégalité,
dans quelle mesure essayait-il de fonctionner légalement, etc. ?
Trotsky.
– A cette époque, le parti avait une fraction parlementaire, et
elle a eu beaucoup d’importance. Elle n’a pas été impeccable au
début de la guerre, mais, peu à peu, sous la pression de Lénine et
du mécontentement croissant, ils sont devenus plus révolutionnaires.
Alors ils ont été arrêtés. C’était au début de 1915, cela
leur avait laissé seulement six à huit mois d’activité. Vous,
vous n’avez pas de fraction parlementaire, mais je crois que votre
préparation à l’illégalité, c’est votre travail dans les
syndicats – c’est la plus importante école du travail illégal.
A Minneapolis, nos camarades ont maintenant une position plus ou
moins favorable et un bloc avec les « réformistes honnêtes »,
mais, que la guerre approche, et les « réformistes honnêtes »
seront les plus chauvins et attaqueront nos camarades, même si ces
derniers sont prudents ; ils rompront avec nous, feront bloc avec les
staliniens et accuseront nos camarades d’être des espions pour
l’Allemagne ou le Japon. Dans d’autres syndicats, la situation
n’est pas aussi favorable qu’à Minneapolis et on fera pression
sur nos camarades pour les éliminer. C’est pourquoi nous devons
organiser nos cadres afin de prendre la place des bureaucrates, il
faut que ces éléments soient plus ou moins illégaux, c’est-à-dire
pas connus comme des membres de la IVe
Internationale. De toute façon, quand la situation s’aggravera,
que nos camarades seront exclus, il y aura un nouvel équipage pour
les remplacer et je crois que ce travail est la meilleure des
préparations pour le travail illégal.
Des
camarades me demandent souvent s’il ne faudrait pas créer une
école spéciale. Ce serait artificiel, mais notre travail le plus
important est maintenant le P.C., y pénétrer jusqu’au bureau.
Il nous faut dans les syndicats des camarades qui nous représentent,
se déclarent ouvertement partisans de la IVe
Internationale, mais ils seront les premières victimes de la
bureaucratie à l’approche ou au début de la guerre, et la police
officielle laissera aux bureaucrates syndicaux le travail de les
exclure et de les priver de tous moyens. C’est pourquoi nous devons
préparer des jeunes, ou des gens qui ne parlent pas bien, mais sont
de bons organisateurs, et qui peuvent rester inconnus. De ce point de
vue, votre situation est plus favorable que ne l’était la nôtre
en Russie, parce qu’il est tout à fait improbable que le
gouvernement interdise les syndicats. Ils essaieront de s’assurer
la coopération des bureaucrates syndicaux, et il nous sera possible
de nous y cacher, et nous aurons des sympathisants. Et quand montera
la grande vague de la douleur des mères et que ce sentiment se
reflétera dans les syndicats, nous leur dirons que nous leur avions
dit ce qu’était la guerre.
Au
début, nous ne pourrons pas être offensifs – c’est presque
impossible physiquement. Ce sera suffisant si nos camarades ne
capitulent pas devant la vague chauvine.
Shachtman,
– Et
sur le comité central
?
Trotsky.
– C’est une question trop particulière pour pouvoir être
tranchée par la situation générale : cela dépend de l’autorité
du parti et des conditions de vie. Une partie du comité central peut
passer immédiatement dans la clandestinité et l’autre partie
rester avec beaucoup de prudence tout en cherchant à établir des
liaisons illégales.
Shachtman.
– J’ai
posé cette question d’un point de vue différent. Les membres du
comité central devront-ils faire une déclaration publique ?
Trotsky.
– Oui, certains d’entre eux devront le faire, mais après avoir
consulté un avocat, pour qu’elle soit formulée de façon à ne
pas les conduire à la cour martiale. Pourtant la déclaration devra
être assez claire pour que nous puissions dire plus tard : nous vous
avons avertis. Et il faudra compléter par des déclarations plus
claires au nom du parti, des tracts illégaux, etc. Certains seront
arrêtés et deviendront le symbole de l’activité ouverte du
parti,
Shachtman.
– Et
pour le journal ?
Trotsky.
– Ayez un journal, même sans titre ; il devient un point de
ralliement pour les ouvriers, même si la ligne n’est pas
complètement développée, même s’il ne fait que s’opposer à
la guerre.
Cannon.
– Est-il
judicieux que le
Socialist Appeal adopte
cette ligne, ou vaut-il mieux le laisser supprimer et avoir un autre
journal
?
Trotsky.
– Il vaut mieux laisser supprimer l'
Appeal.
Même s’il n’était pas interdit, je pense qu’il faudrait créer
un autre journal.
Shachtman.
– Comment
les bolcheviks distribuaient-ils leur propagande pendant la guerre ?
Trotsky.
– Illégalement.
Shachtman.
– Naturellement.
Trotsky.
– Des publications illégales, c’est pourquoi c’est important,
une presse. Vous aurez de la chance d’avoir une ronéo.
Karsner.
– Est-ce
que les organisations culturelles ne pas être très utiles dans ces
époques ?
Trotsky.
– Oui, et d’abord les syndicats.