Léon
Trotsky : Sur la mort de Léon Sedov
(18
février 1938)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 16, janvier 1938 – mars 1938. Institut Léon
Trotsky, Paris 1983, pp. 176-177,
voir des
annotations là-bas]
La
blessure est encore trop fraîche pour que je puisse parler de Léon
Sedov comme d’un mort. Il n’était pas seulement mon fils, mais
mon meilleur ami. Cependant il y a une question sur laquelle j’ai
le devoir de me faire entendre immédiatement :
celle
des causes de sa mort. Je dois dire, dès le début, que je ne
dispose d’aucun élément direct me permettant d’affirmer que la
mort de Léon Sedov est l’œuvre du G.P.U.
Dans
les télégrammes que ma femme et moi avons reçu des amis de Paris,
il n’y a pas plus d’informations que dans les dépêches de
presse. Mais j’aimerais donner quelques informations indirectes qui
peuvent avoir cependant une grande signification pour l’enquête
judiciaire qui se mène à Paris.
1.
Il n’est pas vrai que mon fils ait souffert d’une maladie
intestinale chronique. L'annonce de cette maladie a été pour sa
mère et pour moi une surprise totale.
2.
Il n’est pas vrai qu’il ait beaucoup souffert au cours des
dernières semaines. J’ai en mains la dernière lettre que j'ai
reçue de lui, datée du 4 février. Il n’y a pas dans cette
lettre, très optimiste de ton, un mot sur une quelconque maladie.
Elle révèle au
contraire l’intense
activité qu’il a déployée au cours de ces journées,
particulièrement
en
ce qui
concerne le procès imminent des
meurtriers de
Reiss en
Suisse,
et qu’il
avait
l’intention de la continuer.
3.
La
mort de L. Sedov s’est, de toute évidence, produite au cours
de
la nuit du 15 au 16 février. Il ne s’est donc écoulé que quinze
jours
entre la rédaction de
cette
lettre et la mort. En d’autres termes, la maladie a eu, sans
conteste, un caractère fulgurant.
4.
Il
n’y a bien entendu aucune base pour douter de l'impartialité
de
l’autopsie, quelles qu’aient été ses conclusions. N’étant
pas
spécialiste, je me permets néanmoins de souligner une
conséquence
importante. Si l’on devait admettre la possibilité
d’un
empoisonnement, il ne faudrait pas oublier alors qu’il ne saurait
s’agir
d’un empoisonnement ordinaire. Le G.P.U dispose
de
moyens scientifiques et techniques si exceptionnels que la
tâche
des médecins légistes peut s’avérer plus que difficile.
5.
Comment le G.P.U. a-t-il pu atteindre mon fils? Là aussi,
je
ne puis répondre que par des hypothèses. Au cours de la dernière
période, il y a eu plusieurs cas d’agents du G.P.U. rompant avec
Moscou. Naturellement, tous ceux qui ont rompu ont
cherché
à entrer en relations avec mon fils et lui, avec le courage qui le
caractérisait dans toutes ses actions, a toujours été au-devant de
tels rendez-vous. N’y avait-il pas quelque piège lié à ces
ruptures
? Je ne peux qu’émettre ce postulat. C’est à d’autres de
vérifier.
6.
La
presse communiste française accordait une attention particulière,
évidemment
hostile, à Léon Sedov. Cependant aucun
des
journaux communistes n’a imprimé une seule ligne sur sa
mort
(cf. les dépêches de Paris). Il en fut exactement ainsi au
lendemain de l’assassinat d’Ignace Reiss à Lausanne. Une telle
« prudence » revêt une grande signification si l’on
considère que, dans les questions délicates pour Moscou, la presse
française de l’I.C.
reçoit
ses instructions directement du G.P.U. par l’intermédiaire de son
vieil agent, Jacques Duclos et d’autres.
Je
n’affirme rien. J’énonce simplement des faits et je pose des
questions.