Léon
Trotsky : Un Livre sur la situation en Tchécoslovaquie
(17
septembre 1938)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 18, juin
1938 a septembre 1938.
Institut Léon Trotsky, Paris 1984, pp. 290-293,
voir des
annotations
là-bas]
Il
vient de paraître un livre en allemand de 151 pages, intitulé Die
Entscheidung entgegen
(Devant la Décision), à Brno (Tchécoslovaquie) ; il est consacré
à l’analyse de la situation mondiale, à la situation intérieure
de la Tchécoslovaquie et aux problèmes du prolétariat. L’auteur,
Jaroslav Cerný, a édité son ouvrage sur les directives du groupe
Avant-Garde
et se situe naturellement sur les positions du marxisme
révolutionnaire. Naturellement, puisqu’il apparaît en même temps
comme un partisan convaincu de la IVe
Internationale. C’est tout aussi naturellement que la presse
bourgeoise, social-démocrate et stalinienne, a fait un silence total
sur cet ouvrage remarquable qui mérite toute l’attention.
La
présente note ne prétend en aucun cas constituer une critique sur
le livre du camarade Cerný : j’espère revenir plus tard à une
tâche de ce genre. Je noterai seulement ici que je ne suis pas
entièrement d’accord avec l’auteur. Ainsi, il me semble que son
appréciation du dernier essor industriel est fortement exagérée.
Mais c’est une question d’analyse des statistiques et
aujourd’hui, alors que les États-Unis sont entrés dans une
profonde crise, il est beaucoup plus facile d’apprécier l’essor
révolutionnaire qu’au moment où le camarade Cerný écrivait son
livre. Plusieurs autres questions particulières exigent, selon moi,
d’être examinées un peu plus.
En
définitive, ce sont là que des détails, qui n’entament pas notre
solidarité fondamentale avec l’auteur du livre.
Il
faut cependant éclaircir tout de suite une question politique
d’actualité. Cerný écrit :
«
En ce qui concerne les trotskystes, ils sont apparus au cours des dix
dernières années comme le seul courant marxiste qui ait donné une
appréciation juste du fascisme, qui ait exigé à temps le front
unique ouvrier pour le combattre, alors que Staline qualifiait encore
la social- démocratie de frère jumeau du fascisme. Cette
appréciation du trotskysme a été pleinement partagée, il n’y a
pas encore très longtemps, par de nombreux dirigeants de la IIe
Internationale et parmi eux par le camarade Otto Bauer. »
Il
y aurait lieu d’ajouter ici que les social-démocrates de gauche
ont commencé à nous considérer avec « bienveillance » au cours
de la « troisième période » de bienheureuse mémoire, lorsque
notre critique marxiste était principalement dirigée contre les
sauts de cabri ultra-gauchistes du Comintern Depuis cette époque,
toutefois, comme le Comintern a effectué un tournant, inattendu à
première vue, mais en réalité parfaitement inévitable, vers
l’opportunisme du plus mauvais aloi, les fonctionnaires
social-démocrates de gauche, sans excepter le défunt Bauer, se sont
empressés de devenir semi-staliniens et, du coup, se sont tournés
avec hostilité contre la IVe
Internationale. Le même zigzag a été fait par MM. Walcher,
Brockway et autres semblables émules « de gauche » d’Otto Bauer.
«
Pour nous, poursuit Cerný, il ne saurait y avoir un instant de doute
sur le fait qu’à l’avenir les trotskystes constitueront un
apport infiniment précieux au processus de radicalisation du
mouvement ouvrier international et dans la création de son
organisation mondiale. »
Si
l’unité programmatique de l’auteur et du groupe Avant-Garde
avec les bolcheviks-léninistes peut ainsi être considérée comme
solidement établie dans toutes les questions fondamentales, le côté
organisationnel de l’affaire apparaît moins clair. L’auteur
écrit à ce sujet :
«
Nous ne pensons pas toutefois qu’il serait juste de créer un
nouveau parti “ trotskyste ”... Le prolétariat révolutionnaire
mondial doit créer une nouvelle et par conséquent IVe
Internationale, mais celle-ci ne sera pas créée en dehors des
grandes organisations prolétariennes, mais à travers elles et sur
leur base. C’est par ces conceptions qui sont les nôtres que nous
nous distinguons des trotskystes officiels. »
La
grande importance pratique de ces déclarations n’exige aucune
démonstration. Mais c’est justement pour cela que nous aurions
souhaité un exposé plus clair, c’est-à-dire plus concret. Cerný
et son groupe, comme on peut en juger par son livre, continuent à
faire partie de la social-démocratie tchécoslovaque. Nous n’avons
jamais été des adversaires de principe de la formation de fractions
de la IVe
Internationale au sein de partis centristes et réformistes. Au
contraire, nous avons considéré que cette étape était absolument
inévitable dans de nombreux pays. L’expérience tentée dans
certains a donné incontestablement des résultats positifs,
lesquels, toutefois, sont loin d’avoir transformé nos sections en
partis de masse. Combien de temps nos camarades d’idées
pourront-ils et devront-ils rester en fraction dans la
social-démocratie, c’est une question de circonstances et de
possibilités concrètes, nullement de principe. C’est pourquoi les
motifs pour lesquels l’auteur, dans cette affaire, oppose son
groupe aux « trotskystes officiels », nous sont incompréhensibles.
Il peut s’agir seulement d’une division du travail, d’un
partage temporaire des « sphères d’influence », mais en aucun
cas d’une opposition entre deux méthodes d’organisation.
Nous
connaissons par l’histoire de la IIIe
Internationale des cas où des fractions communistes ont réussi à
gagner la majorité des partis social-démocrates et à les intégrer
officiellement dans le Comintern : c’est ainsi que cela s’est
passé en France. Théoriquement, une telle éventualité est
également possible pour l’édification de la IVe
Internationale. Cerný veut-il dire que
ses
proches camarades d’idées ont des chances de gagner la
social-démocratie tchèque? D’ici, de loin, cette perspective
m’apparaît plus que douteuse. Il ne peut en tout cas être
question d’étendre cette méthode à tous les pays, dans l’espoir
d’édifier la IVe
Internationale directement, sur « la base » des actuelles «
grandes organisations prolétariennes » social-démocrates et
staliniennes.
Si
toutefois le camarade Cerný veut dire que les marxistes
révolutionnaires, aussi bien ceux qui constituent des sections
indépendantes que ceux qui travaillent temporairement en tant que
fractions dans les deux autres Internationales, sont obligés de
concentrer le gros de leurs forces à l’intérieur des
organisations de masse et avant tout dans les syndicats, alors, il
apparaîtra entre eux et nous une solidarité totale et indiscutable.
Les pseudo-« partisans » de la IVe
Internationale qui, sous un prétexte ou sous un autre, restent à
l’écart d’organisations ouvrières de masse, ne sont
susceptibles que de discréditer le drapeau de la IVe
Internationale. Leur chemin n’est pas le nôtre.
L’objectif
de ces remarques n’est pas, répétons-le, de faire un compte rendu
ou une critique du livre du camarade Cerný Nous voulons seulement
attirer sur cet ouvrage l’attention de toutes nos sections et, en
général, celle de tous les marxistes qui réfléchissent. La
Tchécoslovaquie est à l’heure actuelle au centre de l’attention
mondiale. La deuxième moitié du livre de Cerný est entièrement
consacrée au « problème du mouvement ouvrier en Tchécoslovaquie
». Les organes théoriques de nos sections, devraient, à mon avis,
en faire pour leurs lecteurs un bref compte rendu.
Je
recommande de la façon la plus chaleureuse le livre du camarade
Cerný à tous les marxistes, à tous les ouvriers conscients
possédant la langue allemande.