Léon
Trotsky : Un Post-scriptum après Munich
(22
septembre 1938)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 18, juin
1938 a septembre 1938.
Institut Léon Trotsky, Paris 1984, pp. 313-314,
voir des
annotations
là-bas]
La
Tchécoslovaquie a disparu de la carte de l’Europe en tant que
puissance militaire. La séparation d’avec trois millions et demi
d’Allemands profondément hostiles constituerait un avantage du
point de vue militaire si elle ne signifiait pas la perte de ses
frontières naturelles1
2.
Le mur le plus solide de la forteresse de Bohême s’est écroulé
au son de la trompette fasciste. L’Allemagne a gagné non seulement
trois millions et demi d’Allemands, mais aussi une frontière
solide. Si la Tchécoslovaquie était considérée jusqu’à présent
comme le pont de l’U.R.S.S. vers l’Europe, elle est devenue
aujourd’hui le pont de Hitler vers l’Ukraine. La « garantie »
internationale d’indépendance pour les débris qui restent de la
Tchécoslovaquie a incontestablement moins de signification que celle
de l’indépendance de la Belgique avant la guerre.
La
faillite de la Tchécoslovaquie est celle de la politique
internationale de Staline au cours des cinq dernières années.
L’idée de Moscou de l' « alliance des démocraties » pour lutter
contre le fascisme apparaît comme une fiction sans vie. Personne ne
se bat pour un principe abstrait de démocratie : tout le monde se
bat pour des intérêts matériels. L’Angleterre et la France
préfèrent satisfaire l’appétit de Hitler sur le dos de
l’Autriche et de la Tchécoslovaquie plutôt que sur celui de leurs
propres colonies.
Le
pacte militaire entre la France et l’U.R.S.S. perd dès maintenant
75 % de son importance et peut facilement perdre les 100 %. La
vieille idée de Mussolini, le concert des quatre puissances
européennes sous la direction de l’Italie et de l’Allemagne est
devenue une réalité, au moins jusqu’à la prochaine crise.
Le
coup le plus terrible à la situation internationale de l’U.R.S.S.
est le prix qu’elle paie pour la sanglante et permanente épuration
qui a décapité l’armée, bouleversé l’économie, révélé la
faiblesse du régime stalinien. L’origine de cette politique de
défaites se trouve au Kremlin. On peut s’attendre aujourd’hui en
toute certitude à une tentative de la diplomatie soviétique pour se
rapprocher de l’Allemagne au prix de nouvelles concessions et
capitulations, lesquelles, à leur tour, ne pourront que précipiter
la chute de l’oligarchie stalinienne.
Le
compromis conclu sur le cadavre de la Tchécoslovaquie n’assure la
paix d’aucune façon, mais ne fait que créer pour Hitler une base
plus favorable pour la guerre qui vient. Les vols
de
Chamberlain entreront dans l’histoire comme le symbole des
convulsions diplomatiques vécues par la vieille Europe déchirée,
affamée et impuissante, à la veille d’une nouvelle guerre qui se
prépare à inonder de sang notre planète tout entière.