Léon Trotsky : Lettre à Albert Goldman

(10 février 1940)

[Source Léon Trotsky, Œuvres 23, janvier 1940 à mai 1940. Institut Léon Trotsky, Paris 1986, pp. 156-157, titre : « Pour une Discussion calme », voir des annotations là-bas]

Cher Camarade Goldman,

Je suis tout à fait d’accord avec votre lettre du 5 février^. Si j’ai publié la remarque d’Abern sur la scission, c’était précisément dans l’intention de provoquer de la part d’Abern et des autres dirigeants de l’opposition une déclaration nette et sans ambiguïté — non sur les prétendues intentions cachées des dirigeants de la majorité, mais sur les leurs.

J’ai déjà entendu l’aphorisme sur les « citoyens de deuxième ordre ». Je voudrais demander aux dirigeants de l’opposition : quand ils appellent le groupe adverse « la clique de Cannon » ou « les bureaucrates conservateurs », etc., veulent-ils faire d’eux des citoyens de deuxième ordre ? Tout ce que je peux ajouter, c’est que l’extrême sensibilité est une des caractéristiques les plus frappantes de toute fraction petite-bourgeoise. J’ignore si Shachtman, par exemple veut, par sa « Lettre ouverte », faire de moi un citoyen de deuxième ordre. Je ne m’intéresse qu’à ses idées, pas à ses spéculations psychanalytiques.

J’ai un peu l’impression qu’énervés par une série d’erreurs, les dirigeants de l’opposition se poussent mutuellement à un état d’esprit hystérique et ensuite, pour justifier à leurs propres yeux leur hystérie fractionnelle, attribuent à leurs adversaires les desseins les plus noirs et les plus incroyables. Quand ils disent que ma correspondance avec Cannon était un camouflage, je ne puis que hausser les épaules.

Le meilleur traitement pour l’hystérie petite-bourgeoise, c’est l’objectivité marxiste. Nous continuerons à discuter de la dialectique, de la sociologie marxiste, de la nature de classe de l’État soviétique, du caractère de la guerre, non pas avec l’objectif absurde et criminel de provoquer une scission, mais avec l’objectif beaucoup plus raisonnable de convaincre une importante partie du parti et de l’aider à passer d’une position petite-bourgeoise à une position prolétarienne.