Léon Trotsky : Lettre à Joseph Hansen (29 février 1940) [Source Léon Trotsky, Œuvres 23, janvier 1940 à mai 1940. Institut Léon Trotsky, Paris 1986, pp. 203-205, titre : « Un Tapage moralisant », voir des annotations là-bas] Mon cher Joe, Merci beaucoup pour votre longue lettre très instructive. Tous les camarades l’ont lue avec un vif intérêt. Sur le C.E.I., j’écris en même temps à Jim qui vous montrera sûrement la lettre. Si Shachtman affirme que la lettre que j’ai citée sur l’Espagne était signée non seulement de lui, mais aussi de Cannon et Carter, il se trompe complètement. Je n’aurais évidemment pas dissimulé les autres signatures, mais il se trouve qu’elles n’y étaient pas. Comme vous le verrez par les photographies, la lettre n’était signée que de Max Shachtman. J’ai reconnu dans mon article que, dans diverses questions, les camarades de la majorité ont pu partager les erreurs de Shachtman mais qu’ils ne les ont jamais érigées en système et qu’ils n’en ont jamais fait une plate-forme fractionnelle. Et toute la question est là. Abern et Burnham s’indignent que je cite leurs déclarations sans « vérification » préalable. Ils veulent de toute évidence dire qu’au lieu de publier ces prétendues déclarations et de leur donner à tous deux pleine possibilité de les confirmer ou de les démentir, j’aurais dû envoyer d’ici une commission d’enquête de cinq à sept membres impartiaux avec deux sténographes. Et pourquoi ce tapage moralisant ? Burnham, à plusieurs reprises, a identifié la dialectique à la religion. C’est un fait. Mais, en cette circonstance précise, il n’a pas prononcé la phrase que je cite (telle qu’elle m’a été rapportée). Oh, horreur ! Oh, cynisme bolchevique, etc. Même chose pour Abern. Dans la lettre qu’il m’a envoyée, il montre clairement qu’il se prépare à faire scission. Mais, voyez-vous, il n’a jamais dit à Goldman cette phrase sur la scission. C’est une calomnie ! Une invention malhonnête ! Une diffamation ! etc. Autant que je me souvienne, mon article sur la morale commence par une remarque au sujet des suées morales de la petite bourgeoisie désorientée. Nous avons maintenant une nouvelle apparition de ce phénomène dans notre propre parti. J’ai entendu dire que les nouveaux moralistes citent le crime terrible que j’ai commis à propos d’Eastman et du testament de Lénine. Méprisables hypocrisies! Eastman a publié ce document de sa propre initiative à un moment où notre fraction venait de décider d’interrompre toute activité publique pour éviter une scission prématurée. N’oublions pas que c’était avant le fameux comité syndical anglo-russe et avant la révolution chinoise, avant même l’apparition de l’opposition de Zinoviev. Nous étions obligés de manœuvrer pour gagner du temps. Au contraire, la troïka voulait utiliser la publication par Eastman pour provoquer une sorte d’avortement de l’opposition. Elle a présenté un ultimatum : ou bien je signais la déclaration écrite en mon nom par la troïka, ou bien ils déclenchaient tout de suite les hostilités sur cette question. Le centre de l’Opposition décida à l’unanimité que ce problème, à ce moment, nous était tout à fait défavorable, que je devais m’incliner devant l’ultimatum et mettre mon nom au bas de la déclaration rédigée par le bureau politique. La transformation de cette nécessité politique en une question de morale abstraite n’est possible que pour des charlatans petits-bourgeois prêts à clamer : « Pereat mundus, fiat justifia », mais qui tiennent une comptabilité beaucoup plus indulgente de leurs propres procédés quotidiens. Et ces gens se prennent pour des révolutionnaires! Comparés à eux, nos mencheviks étaient de vrais héros. |
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